Appendice de La sierra oubliée, Rio Vero revient sur l’exploration de la rivière aragonaise du massif de la Sierra de Guara. Pierre Minvielle reprend son précédent récit sensible, émouvant et juste afin d’approfondir sa découverte du canyon absent des relevés cartographiques de l’époque. L’auteur creuse ses souvenirs afin de faire surgir à nouveau la magie native de lieux évanouis. Il est bon pour un homme de féconder ses terres de mémoire avec un paysage réel, englobant, transcendant. La Sierra de Guara n’est plus celle qu’a connue Pierre Minvielle au moment charnière de sa désertification, de son exode rural mais elle n’en demeure pas moins un massif posé-là, sujet à de lentes métamorphoses mais quasi éternel à l’échelle humaine. L’auteur, dans sa finitude existentielle, a saisi le parfum ensorcelant de la montagne dans toute la force de son surgissement. Il a pleinement conscience de son incapacité à transcrire toutes les informations reçues à cet instant-là, à donner à voir l’indicible, à ressusciter les moments enfuis, à retrouver la vie passée. Forcément, férocement, la mélancolie peut naturellement venir se ficher, vibrante bile noire, au cœur de l’homme. Pourtant, il n’en est rien ici. Pierre Minvielle repart de l’année 1965 et retrouve le défilé de Villacantal, point de départ d’un éblouissement et d’un désir tenaces : « Le canyon de Villacantal y dressait ses premières murailles, précipices verticaux, couleurs plombées, tachées de coulure vermeille… biefs très profonds, chaos rocheux formés d’énormes blocs effondrés, falaises sans point de faiblesse… ». Les années suivantes seront consacrées à l’exploration pas à pas du rio Vero jusqu’à la grande traversée intégrale de la rivière et concomitamment à la découverte de peintures et gravures rupestres en remontant vers la source de la rivière aragonaise. Les rencontres avec des hommes du cru tel Jésus Vergez ou le seňor Coscojuelo seront décisives afin de dénicher les sources dans le matorral [maquis] et les passages escarpés dans les falaises. L’auteur va signaler à un éminent préhistorien de Saragosse, don Antonio Beltran « l’existence de schémas rupestres peints dans certaines cavités du barranco [ravin] de Lecina » et découvrir à son retour sur le site des traces de déprédation : « une main inconnue avait tenté de détacher les peintures et leur support mais le support trop fragile avait cédé, s’était brisé, émiettant ainsi les vénérables graffiti ». Sur les trois cavités mentionnées, deux ont été détériorées. Heureusement, l’auteur, méfiant, n’en a indiqué que trois sur l’ensemble conséquent mis à jour. Lorsque plus tard des chercheurs aragonais reprendront le flambeau des explorateurs français, pas moins de soixante cavités ornées, datées de 24 000 ans avant notre ère, seront répertoriées, soit trois fois plus que celles découvertes par Pierre Minvielle et ses amis. L’UNESCO a inscrit le « bassin supérieur du rio Vero au Patrimoine mondial de l’Humanité ». On peut inscrire ce petit livre oblong dans une bibliothèque idéale du voyage, de l’aventure et de la poésie.
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