[Panique aux frontières - Enquête sur cette Europe qui se ferme | Eric L'Helgoualc'h - Pierre Henry (Postfacier)]

Il ne s’agit pas là d’un essai sur les politiques d’immigration et d’accueil des réfugiés en Europe mais d’une enquête menée en 2010-2011, par un spécialiste de la communication de l’Union européenne, sur certains points critiques et circonstances de mise à mal de l’application des normes communautaires en matière de frontières extérieures de l’espace Schengen. Cette application, qui privilégie largement et de manière croissante le volet sécuritaire à l’aspect humanitaire, est en effet contradictoire avec le principe inspirateur fondamental de l’édifice européen, à savoir la promotion du droit international et des droits de l’homme, spécifiquement de la Convention de Genève sur le droit d’asile, et elle est de moins en moins compatible avec l’espace de libre circulation des personnes à travers les frontières intérieures. Cela étant, « dans une Europe en pleine recomposition idéologique autour des enjeux identitaires » (p. 83), il est évident que les tendances populistes diffuses, visant au rétablissement de ces frontières mêmes, revendiquant des politiques résolument régaliennes donc peu propices à toute tentative d’harmonisation supranationale en la matière, et surtout attisant une hostilité croissante à l’égard des étrangers, déplacent l’axe de la praxis communautaire vers le répressif à outrance (Frontex), sans par ailleurs parvenir à en dissimuler l’impuissance de fond. Cette impuissance a pour emblème l’externalisation de la gestion des flux migratoires vers la Lybie, le Maroc, l’Ukraine et bientôt la Turquie, états dont l’indifférence (le mépris ?) pour les droits de l’homme est notoire, assumée, et fort utile…
A ce propos, il faut noter : « de même que l’absence d’harmonisation fiscale entraîne les gouvernements à baisser les impôts sur les sociétés pour séduire les entreprises, les différences de législation en matière d’asile sont une invitation à se lancer dans la course au moins-disant humanitaire pour éviter d’attirer les étrangers. » (p. 159)
L’ouvrage se décline dans les ch. suivants :
- Prologue : « En attendant la vague » - sur la diffusion de l’idéologie de « l’invasion (barbare) » et de la « forteresse assiégée » ;
- I : « L’impossibilité d’une île » - sur les conditions de gestion de l’immigration méditerranéenne dans le pays membre le plus petit : Malte ;
- II : « Valse avec Mouammar » - sur la mise en place et les effets des accords frontaliers entre Berlusconi et Kadhafi, avalisés par Bruxelles ;
- III : « Attica Blues » - sur l’Opération Poséidon ayant pour le cadre la Grèce en crise financière et la frontière gréco-turque, très tendue par ailleurs ;
- IV : « De quoi Frontex est-il le nom » - sur la fameuse Agence de coordination et de surveillance des frontières extérieures ;
- V : « Forteresse digitale » - sur les conséquences des politiques sécuritaires frontalières sur le business opaque de la sécurité ainsi que sur les libertés individuelles des ressortissants européens outre qu’étrangers (biométrie, etc.) ;
- VI : « Nouvelles frontières » - sur la dialectique du débat en Europe et le glissement idéologique dans lequel la France de Sarkozy et l’Italie de Berlusconi en tête, mais aussi les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche, la Finlande, la Hongrie et les autres sont impliqués ; et sur le tournant qui s’est opéré à l’échelle européenne dans les années 2000, en particulier au lendemain du rejet de la Constitution ;
- Postface « Un humanisme européen contre la tentation populiste », par Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile – elle constitue un texte au style fort différent, dans lequel son auteur revendique son militantisme et se pousse au-delà du simple état des lieux.

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