"Dora Bruder" est, comme "L'horizon", l'histoire d'une -en-quête dans le passé. Le narrateur -que l'on devine rapidement être l'auteur- part sur les traces non pas cette fois d'une ancienne petite amie, mais sur celles d'une inconnue à propos de laquelle il a lu un avis de recherche dans un journal daté de décembre 1941. Dora, 15 ans, dans le Paris de l'Occupation, a fugué.
Près de cinquante ans plus tard, Patrick Modiano tente de reconstituer les circonstances et le contexte qui entourèrent cet événement, en se basant sur quelques témoignages et les rares archives qu'il a pu retrouver, mais pas seulement. Au-delà des indications factuelles qu'il recueille, il mène son enquête à la façon d'un pèlerinage, déambulant dans les quartiers parisiens où aurait vécu Dora, tentant d'imaginer ses déplacements, ses intentions, les pensées et les émotions qu'il imagine avoir été celles de la jeune fille faisant écho à ses propres souvenirs d'enfance ou de jeunesse.
Car comme dans "L'horizon", il émet ici l'hypothèse que les lieux conserveraient une sorte de mémoire de ce qu'y auraient vécu les êtres, de ce qu'il y auraient ressenti, et donne l'impression de vouloir capter cet espace intemporel où cohabiteraient les résonances d'histoires passées et présentes.
Il ressent ainsi, par exemple, "la tristesse d'autres dimanches" dans les rues qu'il parcourt.
Si on peut s'interroger dans un premier temps sur le but de cette quête à laquelle se livre l'écrivain, et qui par moments prend un caractère presque obsessionnel, on comprend ensuite, par certaines de ses réflexions, qu'il est motivé par un devoir de mémoire à l'encontre des anonymes dont le destin a été malmené par l'histoire, mais que l'histoire a englouti dans la masse impersonnelle des victimes sans nom et sans visage, aidée en cela par ceux qui, du côté des bourreaux, prirent soin de détruire systématiquement tout document compromettant.
En effet, si l'énigme que représente pour lui la fugue de Dora est le point de départ de sa quête, son travail d'exhumation lui fait inévitablement croiser la route d'autres de ces anonymes qui subirent eux aussi les conséquences des décisions d'un régime fasciste et assassin, ou de ceux qui le combattirent avec plus ou moins de virulence.
L'auteur étant lui-même parisien, il ranime également lors de ses marches dans la ville certains de ses propres souvenirs, notamment ceux qui évoquent un père dont il s'était éloigné, qui est mort sans qu'il l'ai revu durant plusieurs années.
Comme si, en partant ainsi à la rencontre de ces individus qui, en d'autres temps, ont fréquenté les mêmes lieux que lui, il trouvait l'occasion de se (re)trouver un peu lui-même.
La lecture de "L'horizon fut plaisante, mais ne restera pas un expérience marquante. En revanche, celle de "Dora Bruder" m'a profondément touchée. Le ton, d'une mélancolie toute en retenue, la façon dont Patrick Modiano évoque cette sombre période de l'histoire en s'attachant à quelques détails relatifs à une poignée d'individus donne à son récit une amplitude émotionnelle particulière, à laquelle il est difficile de rester insensible. Tout cela en s'appuyant sur quelques noms de rues et de personnes, à partir desquels il fait des supputations, laisse parler son intuition et sa sensibilité l'homme atterré par l’insignifiance que revêtent, avec le temps, les drames vécus par les êtres.
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