Raina et Craig se rencontrent lors d’une classe de neige paroissiale. L’amour s’immisce entre les deux adolescents mais la religion, la famille et l’école pèsent sur la vie de jeunes gens sensibles, proches de l’émancipation intellectuelle mais déjà entravés par des contraintes morales et sociales prégnantes. La religion chrétienne est omniprésente tout au long de l’autobiographie dessinée. Craig a depuis longtemps trouvé un refuge dans la pratique du dessin, son jeune frère aussi. Par un jeu constant de retour en arrière, l’auteur donne corps et vraisemblance à une histoire très ordinaire, ancrée dans le terroir américain tout pétri et empêtré d’idées préconçues et arrêtées, de visions parcellaires de la vie, obsédé par le pêché, la culpabilité et la rédemption. La normalité est une ornière balisée de stéréotypes. La sexualité a bien du mal à pointer dans ce contexte rigoriste, sexiste et castrateur. Les presque six cents pages du roman graphique ne pèsent pas comme un pudding roboratif mais se goûtent telle une crème fouettée, légère et fluide. Le dessin est aéré et la mise en page accorde une place majeure au graphisme avec de nombreux dessins pleine page. L’introspection de l’auteur est touchante car rien n’est caché, de sa première masturbation aux chastes étreintes avec Raina. L’imagination des enfants est parfaitement bien restituée notamment au travers des dérives maritimes à bord du lit qui chavire, pris dans des tempêtes imaginaires et homériques. L’ensemble apporte une légère ivresse au lecteur tant les personnages semblent aériens, flottants au-dessus des champs de neige, parfois tout proches des étoiles qu’ils contemplent longuement. On pourrait penser de prime abord que Blankets est un pensum inutile qui n’a pas sa place dans l’univers de la bande dessinée mais ce serait méconnaître les capacités d’assimilation et de récupération du 9e art capable de multiples métamorphoses, sans cesse novateur et résolument moderne. De plus, l’œuvre de Craig Thompson est ambitieuse et montre ce qu’elle ne dit pas, le silence, la lente construction d’un être, les temps de latence nécessaires à la maturation et à la création, la macule des pas sur le manteau de neige.

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