Il y a des écrivains dont on reconnaît infailliblement l'empreinte d'une œuvre à l'autre, en raison de certaines particularités stylistiques, ou parce qu'ils mettent tant d'eux-mêmes dans leurs personnages que c'est finalement toujours le même héros (ou la même héroïne) que l'on a l'impression de retrouver à chacun de leurs récits.
Et il y a ceux qui nous surprennent à chaque fois, qui, tels des caméléons, semblent se parer d'une plume différente à chaque roman, comme s'ils s'oubliaient totalement au profit de leurs personnages et de leur histoire.
Chaque œuvre devient alors une aventure unique, inédite, l'immersion dans un univers chaque fois renouvelé, la rencontre avec des protagonistes singuliers.
Nancy Huston appartient incontestablement à cette deuxième catégorie. Et elle ne se contente pas d'adopter à chacune de ses œuvres une voix différente, puisque même changer de genre narratif, quitte à -presque- tous les expérimenter, ne lui fait pas peur (ainsi que je l'ai déjà évoqué ICI) !
Et ce n'est pas la lecture de "Trois fois septembre" et d'"Histoire d'Omaya" qui va me faire changer d'avis. Mon admiration pour cette auteure dont la seule constante, d'un roman à l'autre, est l'extrême qualité de son écriture, a encore été renforcée, tant elle y démontre une fois de plus sa capacité à nous émouvoir et à nous envoûter par le seul pouvoir de sa plume.
"Trois fois septembre" nous fait passer un week-end en compagnie de Renée, professeure de français dans un lycée américain de la région de Boston, et de sa fille Solange, étudiante.
L'établissement dans lequel exerce Renée -"La Colline"- se veut un lieu préservé de l'agitation du monde : télévision, radio et journaux y sont interdits. Solange y a été élève, et c'est à cette occasion qu'elle a fait la connaissance de Selena, dont elle est devenue une amie proche. Proche au point d'être en possession du journal de cette dernière, dans la lecture duquel elle et sa mère vont s'absorber le temps de ce week-end, en quête de réponses à des événements dont nous découvrons peu à peu la teneur.
D'emblée, grâce a un sens aigu des détails, qu'elle sait rendre significatifs sans qu'ils soient jamais fastidieux, Nancy Huston nous happe dans son récit, nous attache à ses personnages, et nous donne envie d'en savoir plus.
Le journal de Selena débute en 1969, à l'époque de Woodstock, de Bob Dylan, des Beatles, des premiers pas sur la Lune... celle aussi de la guerre du Vietnam et du LSD, de l'arrivée de Nixon au pouvoir...
Négligée par un père fantasque et une mère infantile -ses deux parents étant séparés-, Selena est une jeune fille intelligente et extrêmement sensible, capable de s'émouvoir avec autant d'intensité devant la beauté d'un paysage que face au malheur d'autrui. Nancy Huston prête à cette amoureuse des mots qu'est son héroïne une écriture superbe, à la fois poétique, romantique, et puissamment évocatrice de ses émotions, de ses souffrances, et de l'amour si fort qu'il confine à la démence qu'elle éprouve pour Jonathan. Ce dernier, qui porte comme un fardeau le passé de persécutions de ses parents juifs polonais, s'est engagé au Vietnam, dans un élan déraisonné pour donner un sens à son existence.
Cette séparation est une épreuve qui finit par devenir insurmontable pour Selena, dont la réceptivité aux injustices du monde s'en trouve exacerbée. Elle semble peu à peu se détacher de la réalité qui l'entoure, blessée par la superficialité qu'affichent, selon elle, les étudiants qu'elle côtoient.
Lire, par l'intermédiaire de Solange, le journal de son amie Selena, c'est éprouver la dérive d'une âme trop fragile pour supporter la violence du monde.
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