[TRAITE DU FÉTICHISME. À L'USAGE DES JEUNES GÉNÉRATIONS | Jean Streff]
Né avec l’Encyclopédie sous les augures d’impiété des paganismes aborigènes, la psychologie clinique y ayant vite rajouté le sceau d’infamie de la perversion sexuelle (aberration ou psychopathologie), le concept de fétichisme regorge de connotations malsaines, même après que Freud en ait donné l’interprétation fort réductrice bien connue : « le fétiche est le substitut du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel il ne veut pas renoncer. »
Sans nécessairement se départir du thème (pour moi richissime et extrêmement passionnant) des perversions, l’auteur, qui se réclame « fétichiste de tout », envisage le fétichisme simplement comme du symbolisme érotique, la perversion ne résidant éventuellement que dans l’incapacité à jouir du tout au lieu que de la partie, de l’objet fétichisé.
Et les parties, ce sont d’abord toutes les parties du corps, ses « morceaux », même les plus éloignées du corps érotique, puis les « corps différents », puis, par distanciation progressive, les cinq sens, les liquides corporels, les accessoires vestimentaires ou non, et autres « enveloppements » plus ou moins adjacents corporellement.
Sous le titre de Traité, nous recevons donc une compilation encyclopédique, vaste, détaillée, exhaustive jusqu’à preuve d’un surcroît d’imagination perverse, de la plus grande variété possible d’éléments fétichisés, répertoriés d’après la littérature scientifique, surtout psychanalytique, la littérature érotique – au sens large y comprenant la presse pornographique spécialisée – et, très abondamment, d’après les références cinématographiques qui correspondent à la spécialisation de l’auteur.
Le style savamment ironique et ironiquement savant, allège la gravité du sujet, qui reste cependant très marqué par sa proximité essentielle au masochisme, fraternellement, et au sadisme en moindre mesure. Face à la lecture de ce genre d’aménités, pour celui qui n’en est pas consciemment adepte ni inconsciemment subjugué, deux réactions tout aussi intrigantes sont possibles : la stupeur mêlée au « pourquoi pas ça ? » lorsqu’on se sent moins impliqué, ou la franche horreur lorsqu’est touché l’un de nos tabous les plus intériorisés. C’est là que le style dont je parle devient plus qu’agréable, indispensable… Pourtant je crois avoir trouvé une sorte de surenchère progressive dans la limite du supportable, à moins que ce ne fût l’indice de ma lassitude, et au moins à en juger par la toute dernière image et relatif commentaire :
« Le héros du
Nécrophile de Gabrielle Wittkop rejoint les deux extrêmes de la vie en se livrant à des ébats avec le cadavre d’un bébé, dont il trouve ‘la chair fade comme un potage de lait’. Comme quoi, même devant le plus accompli des nécrophiles, nous ne sommes pas tous égaux. » (p. 512)
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