Si je choisissais les livres en fonction de leurs titres, il est probable que je n'aurais jamais eu la chance de découvrir Carson McCullers, ou tout au moins les deux romans que j'ai jusqu'à présent lus de cette auteure : "Le coeur est un chasseur solitaire" et "Reflets dans un oeil d'or", que je viens de terminer !
Un intitulé dont la mièvrerie est loin de laisser deviner la nature vénéneuse, oppressante, du récit...
Carson McCullers met en scène des personnages très différents, dont les relations vont alimenter les obsessions des uns et les désirs des autres, dans un quasi huis-clos à la tension grandissante.
Quasi huis-clos en effet, puisque l'action se situe au sein d'un poste de guerre du sud des Etats-Unis, les protagonistes se retrouvant ainsi coupé du monde extérieur. Nous sommes en temps de paix, et une sorte d'ambiance morne et désoeuvrée règne sur les lieux.
Dès les premières lignes du roman, nous apprenons qu'un meurtre va être commis. Tout l'intérêt réside dans la description de l'inéluctable concours de circonstances qui y mènent et de la spirale démentielle dans laquelle semblent se noyer certains des héros.
La capitaine Penderton est l'un des personnages principaux du drame qui va se jouer, et à mon sens l'un des plus intéressants. Individu ambigu, animé de pulsions -notamment homosexuelles- refoulées, il se considère lui-même comme un lâche incapable d'assumer des émotions qu'il subit plus qu'il ne les vit. Marié à Léonor, une belle écervelée touchante de spontanéité et de joie de vivre, il est amoureux de l'amant de cette dernière, le commandant Langdon. Celui-ci vit dans la maison voisine de celle du couple Penderton, avec son épouse Alison, dépressive depuis la perte de leur petite fille plusieurs années auparavant, et qui a reporté toute son affection sur Anacleto, le serviteur philippin exubérant et jovial, qui lui fait office à la fois de clown, d'infirmier et de valet de chambre.
C'est un élément extérieur à ce cercle qui va être le catalyseur de l'obsession qui va s'emparer du capitaine, et mener à l'issue fatale : le soldat Elgé Williams, envers lequel Penderton va peu à peu nourrir une haine dévorante et incompréhensible, suite à deux incidents a priori bénins (un peu de café renversé sur un costume, et un arbre qui n'a pas été élagué selon l'exact desiderata du capitaine).
Le soldat Williams, objet de cette attention malsaine, est quant à lui un être rustre, brutal, taciturne et solitaire. Élevé par des hommes, il sombre lui aussi dans une forme d'obsession lorsqu'il aperçoit pour la première fois le corps d'une femme nue, en l'occurrence celui de Leonor. Abasourdi par tant de sensualité et de douceur, il éprouve une sorte d'adoration lointaine, muette et timide pour la femme du capitaine.
L'auteure joue avec talent sur les émotions inavouées et les mal-êtres profonds qui habitent ses personnages pour imprégner son histoire d'une atmosphère pesante, tendue. L'écriture est certes classique, mais le rythme soutenu du récit, et la capacité de Carson McCullers à dépeindre, en quelques mots évocateurs, un état d'esprit ou une situation, rendent la lecture confortable et plaisante.
J'ai aimé aussi le fait d'opposer un contexte rigide, aux règles et aux rôles préétablis (le milieu militaire) aux tourments intérieurs alambiqués et complexes de ses protagonistes, les enfermant ainsi dans un environnement où leur folie, privée d'exutoire, bouillonne jusqu'à l'explosion...
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