Des personnages qui évoluent indépendamment de leur auteur - ou mieux, des récits qui campent des personnages en dehors de la fiction de leur réalité due à l'omniscience du narrateur - nous en connaissons depuis longtemps : depuis
Six Personnages en quête d'auteur de Pirandello, ou depuis Unamuno (presque en même temps).
Dans ce roman, néanmoins, Georges/Antonin surgit nuitamment de la plume de son auteure qui en veut un héros de roman érotique ; et son existence (nocturne), ses aventures sexuelles multiples, sa liberté d'errer dans quelques rues de Paris, sa connaissance et conscience de soi, voire sa propre survie ne dépendent que du sommeil de l'auteure. C'est dire que très vite la volonté du personnage est menacée de façon angoissante par celle, peut-être contradictoire ou incompatible, de son auteure, qui pourrait lui tracer un autre destin que celui qu'il convoite. Et de la convoitise, il en a à revendre, surtout depuis qu'il a rencontré Mina et qu'il en est tombé amoureux. Mina, source de délices incomparables avec celles connues avec les autres, représente aussi une menace supplémentaire pour Georges, car elle est peintre, et voudrait figer son image par le trait, ce qui le priverait aussi de la liberté de ses mouvements...
Le roman, y compris dans ses multiples descriptions érotiques, présente une très remarquable originalité de fond autant que de forme. Il est formé d'un texte ininterrompu, sans subdivision en chapitres ni en paragraphes, souvent comportant des phrases extrêmement longues - ou à l'inverse composées d'un seul mot, dans lesquelles le monologue intérieur de Georges se mêle allègrement à un dialogue de son auteure avec lui (à la seconde personne), à des dialogues avec les autres personnages (au premier ou second degré, le doute existe pour certains...), à des récits du narrateur (reconnaissables par l'usage du passé simple, ou par un conditionnel d'anticipation). Parfois tous ces éléments se juxtaposent dans la même phrase, comme la splendide scène érotique des pp. 114-117. Le temps du récit est également enchevêtré.
Tout cela fait penser très fort au Nouveau Roman. La structure narrative est très complexe. Mais parfois l'on ressent la pesanteur d'une expérimentation littéraire qui n'a d'autre fin qu'elle-même, et cela est alors assez lassant. Les romans (et essais) les plus récents de Cannone que j'ai lus en premier m'ont réjoui davantage.
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