Ma première expérience avec Sarah Waters remonte à plusieurs années déjà, avec la lecture de son roman « Affinités », qui m’avait déçue en raison d’une fin trop prévisible et de ce que l’on pourrait qualifier d’incompatibilité entre son héroïne et moi…
Je lui avais toutefois reconnu suffisamment de qualités –notamment dans la façon qu’avait l’auteure d’instaurer son atmosphère, ou de dérouler patiemment son intrigue-, pour me laisser tenter par un nouvel essai.
Et c’est sans aucun regret, car Sarah Waters nous offre, avec son dernier roman « L’indésirable », un véritable petit bijou, que l’on devine avoir été élaboré avec beaucoup de minutie.
Pour apprécier pleinement cette lecture, il est important à mon sens d’accepter d’être emmené dans un univers légèrement décalé du nôtre…Un univers au sein duquel le temps paraît s’écouler un peu plus lentement que de coutume, et où la nature mystérieuse de certains événements reste inexplicable.
Le récit est empreint d’une atmosphère surannée, à l’image de ses personnages et du lieu dans lequel ils évoluent.
Ce lieu, c’est Hundred Halls, un immense vieux manoir sis dans la campagne anglaise, demeure depuis des générations de la famille Ayres, qui ne compte plus dorénavant que trois membres : Mrs Ayres et ses enfants, Roderick et Caroline. Cette dernière est une grande jeune femme de constitution robuste, au caractère patient, et d'humeur toujours égale. Quant à Roderick, revenu de la guerre accidenté et défiguré, les responsabilités qui lui incombent, en tant que maître du domaine, pèsent bien lourd sur ses frêles épaules.
En effet, l’époque du faste à Hundreds Hall est bel et bien révolue, le manoir est dans un état de déréliction avancée, et les finances catastrophiques du domaine ne permettent pas de l’entretenir.
L’acharnement des Ayres à vouloir maintenir un train de vie aristocratique paraît par conséquent bien irréaliste, surtout en cette fin des années 40, où, le parti travailliste étant arrivé au pouvoir, sa priorité est de mettre en place une politique sociale qui reflète les mutations qui transforment alors la société anglaise. Les lourdes pertes matérielles subies par l'Angleterre durant la seconde guerre mondiale ont porté préjudice à beaucoup de riches familles, que la terre n'a pu sauver, et qui ont bien souvent perdu leur influence et leur pouvoir ; une nouvelle ère égalitariste se lève...
C’est dans ce contexte que le Dr Faraday fait la connaissance de la famille Ayres, au hasard d’une urgence qui le fait appeler au chevet de la bonne d’Hundreds Hall, où il n’a pas mis les pieds depuis trente ans : alors âgé d'une dizaine d'années, il avait été introduit dans la vaste demeure par sa mère, qui fut l’une des nurses du domaine avant de se marier. Le jeune garçon, issu d'un milieu modeste, avait été émerveillé par ce lieu aristocratique et immense, et l'adulte qu'il est devenu a gardé pour la propriété des Ayres, en dépit de son état de délabrement, un sentiment d'admiration troublant, qui confine à l'envie.
C'est pourquoi il se montre au départ quelque peu choqué par le comportement des habitants du lieux qui se plaignent du fardeau que représente Hundreds Hall, quand y vivre représente pour lui une chance inestimable. Mais en apprenant à mieux connaître les membres de la famille Ayres, il finit par les apprécier sincèrement et devient un de leurs plus fidèles amis, ainsi qu'un précieux soutien pour Caroline et sa mère. En effet, la situation financière catastrophique s’accompagne bientôt d’autres problèmes : Roderick a un comportement étrange, dépérit, et prétend être la victime d'une étrange force occulte et malfaisante...
Il n’y a certes rien de très original dans le thème qu’a choisi d’aborder Sarah Waters. Le théâtre de l'intrigue, l'élégant classicisme de son écriture et le caractère subtilement fantastique du récit, évoquent entre autres certains romans de Daphné Du Maurier, ou bien les nouvelles fantastiques d'Edgar Poe. Mais peu importe, car elle s'en sort avec les honneurs, et ne démérite pas vis-à-vis des modèles dont elle s'est probablement inspirée.
Elle a, pour nous immerger dans l'ambiance angoissante et parfois malsaine de son roman, les mots justes, les images appropriées. Si bien que l'on a l'impression d'y être, dans cette grande demeure qui paraît presque douée d'une volonté propre, et manifester vis-à-vis de ceux qui l'habitent une sourde hostilité. Elle sait de plus imposer à son récit un rythme qui nous engourdit et nous envoûte à la fois, nous attachant doucement à ses personnages tour à tour dignes ou pathétiques.
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