[Cet Autre | Ryszard Kapuscinski, Véronique Patte (Traducteur)]
"Quand je réfléchis aux voyages que j'effectue dans le monde depuis longtemps déjà, il me semble que le problème le plus inquiétant ne concerne pas tant les frontières et les guerres, les obstacles et les dangers que l'incertitude permanente sur le genre, la qualité et le déroulement de la rencontre avec l'Autre [...]" (p. 91)
Dans ce petit volume qui réunit quatre conférences (1990-2004), les thèmes de l'altérité, du multiculturalisme, de la rencontre, de la posture face à l'Autre sont posés sous l'angle de l'expérience professionnelle du grand reporter polonais (1932-2007), correspondant aux quatre coins du monde dès les années 50. Il ne s'agit donc pas d'une réflexion philosophique ou sociologique ou politologique mûrie dans la tour d'ivoire de la recherche - d'où une certaine légèreté conceptuelle et facilité de lecture -, bien que des références notamment à la pensée d'Emmanuel Levinas (fort moins abordable, par contre) soient amplement utilisées. Mais il s'avère qu'une stricte parenté de méthode et d'éthique existe entre le travail de terrain de l'anthropologue et "le reportage [qui] est le genre littéraire le plus collectif qui soit puisque des dizaines de gens - les interlocuteurs que nous rencontrons sur notre route - contribuent à sa création en nous racontant des histoires de leur vie, de leur communauté, des événements auxquels ils ont participé ou dont ils ont entendu parler." (p. 14).
Ainsi, par exemple, le reporter avisé se rend compte que dans cet Autre qui le renseigne se superposent deux êtres : un individu - qui n'est pas si Autre que ça... - et un représentant désigné (par l'observateur) comme dépositaire de caractéristiques culturelles, religieuses, idéologiques collectives et radicalement autres. Qui plus est, l'observateur n'est pas neutre dans la mise en exergue toujours provisoire et instable de l'un ou de l'autre de ces deux êtres s'influençant réciproquement puisqu'ils ne forment qu'une seule et même personne ! De même, le reporter, comme l'anthropologue, aura vite fait de s'apercevoir qu'il est l'Autre pour l'Autre, et de se demander quelles sont les caractéristiques de son altérité qui priment auprès de son interlocuteur, lesquelles ne sont peut-être pas les mêmes qui font de "son" Autre l'Autre. Cela devient vite un peu compliqué. Surtout si l'on devine que l'Autre est surtout, d'abord, souvent, le reflet de Soi...
Toutes ces complications semblent toutefois dérisoires face à la véritable complexité qui entoure les enjeux de la rencontre, pourtant d'autant plus actuels et pressants que notre monde est de plus en plus globalisé. A condition, bien sûr, d'avoir la volonté, l'humilité et la disposition éthique du véritable voyageur, concept presque antithétique de celui du touriste aventurier... Car enfin: "Le voyage volontaire, le voyage comme mode de vie est aussi rare que l'envie d'apprendre. Les gens s'intéressent généralement peu aux autres." (p. 18)...!
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