["Israël, Chance de civilisation"... - Articles de journaux et de revues 1967-1992 | Jacques Ellul]
Attention, livre polémique, évidement ;-D d'où cette note particulièrement longue...
D'abord, parce que la propagande (anti-sioniste comme pro-sioniste) aura vite fait de vouloir classer Ellul dans une catégorie, ce qui ne sied pas, vous l'avouerez (après avoir lu ce livre, évidemment).
Ensuite parce qu'Ellul ose s'attaque d'une part à ses paradoxes (j'y viens), tout en s'attaquant aux paradoxes et aux mensonges des propagandistes de toute part. Et comme au moment où il a écrit ces articles, c'est la propagande palestinienne qui l'emporte (la propagande israélienne étant alors proche de nul - contrairement à aujourd'hui), il a choisi de défendre ceux qu'on n'entendait jamais. Son propos n'est donc pas de dire qu'Israël c'est les gentils et que le gouvernement y est vraiment sympa... Mais il a souhaité contrer la propagande systématiquement anti-israélienne pour tenter de donner une image plus juste de la réalité, notamment en dénonçant les mensonges et manipulations, causées par l'oubli de l'histoire (n'oublions jamais qu'Ellul était avant tout historien).
Précisions utiles, ces articles ont été écrits entre 1967 et 1992, donc à des temps politiques très différents de ce que nous vivons aujourd'hui. On ne peut pas dire ce qu'Ellul aurait dit sur l'Israël contemporain, mais il aurait sans doute rappelé que le conflit est lié à un long passé de propagande, tout de même...
Récapitulons (et je vais essayer de ne rien omettre...)
1/ Ellul est anarchiste. Ca veut dire que l'Etat, quel qu'il soit, n'a pas une grande place dans son coeur. Ce qui se traduit par une oppression du fort sur le faible le met en colère. Ce qui se traduit par la guerre aussi. Ellul milite non pas pour la non-violence, mais pour la non-puissance.
2/ Ellul est chrétien, et son goût prononcé pour la non-puissance lui vient de l'exemple de ce Dieu qui, lors de son incarnation, a choisi de ne pas répondre à la violence, alors qu'il aurait pu déchaîner sa puissance. En tant que chrétien, Ellul reconnaît aussi l'héritage qui est le sien, à savoir l'héritage des Ecritures (héritage juif, donc), et il reconnaît que Jésus était juif, ainsi que les premiers chrétiens. Il reconnait donc sa dette spirituelle envers le peuple juif. Et il reconnait que l'occident en général a cette dette spirituelle.
3/ On mélange les deux premiers points et on aboutit à un paradoxe. Parce que l'Etat moderne d'Israël est un Etat; parce que l'armée est dans les rues et commet des exactions, et parce que c'est la puissance qui s'y exprime. Néanmoins, Ellul prend parti pour Israël. Et pas seulement à cause de la dette spirituelle - il dit même que sa conscience de redevabilité lui est venue bien après... Alors, pourquoi?
- la propagande de l'OLP a truqué les chiffres, en présentant 500.000 Palestiniens au début 1900, contre 25.000 Israélites. Or, les documents de l'administration ottomane montrent que la Palestine faisait partie d'une province englobant l'Irak, la Jordanie, la Syrie... Il y avait au total quelques 700.000 habitants (dont 60.000 à Jérusalem), composés d'Egyptiens, de Circassiens, de Druzes, d'Arméniens, qui n'avaient rien d'Arabes Palestiniens. Et les Ottomans évaluaient le nombre de Juifs à 60.000!
- on parle des terres qui, dès le départ, avaient été spoliées. Or, entre les deux guerres, les Juifs ont acheté les terres incultes aux Arabes, de manière légale et non forcée. N'oublions pas que la principale cause de la fuite des Palestiniens a été la guerre de 1948 (causée par les Arabes).
- on parle de peuple Palestinien. Aujourd'hui, il existe assurément un peuple Palestinien - et il n'est pas question de le nier, mais ce qu'on ne dit pas, c'est que ce peuple a été créé de toutes pièces par la propagande de l'OLP. En fait, les Palestiniens sont des Arabes, parents des Arabes de Jordanie, de l'Irak, du Liban. Ils n'ont ni culture particulière, ni histoire spécifique. La Palestine est un nom romain donné à toute une partie de la province de Syrie, qui a subi conquête sur conquête (Hébreux, Philistins, Grecs, Romains, Arabes, Turcs).
- la charte de l'OLP n'a jamais, depuis sa création, été modifiée. Or, il y est écrit que l'OLP lutte pour la destruction pure et simple de l'Etat d'Israël. Or, lutter pour la destruction d'Israël, c'est précisément de l'antisémitisme.
- on dit que "la logique du sionisme est la guerre permanente". Or, à l'époque où vivait Ellul, c'est Israël qui, à chaque fois, était attaqué et réagissait à ces attaques. Efficacité de la propagande.
on accuse Israël de beaucoup de massacres, et ces massacres ne sont pas à nier (Israël doit en porter la responsabilité). Mais pourquoi n'accuse-t-on pas, de manière équitable, les autres pays qui sont aussi - voire plus coupables qu'Israël? Citons par exemple ce que la France a fait en Algérie, et que personne n'a contesté ouvertement... ni même l'action de l'URSS (que la gauche soutenait, tout en sachant qu'il y avait des camps de concentration!) et tant d'autres pays annexés (sud de la Finlande, l'est de la Pologne, la Liban occupé par la Syrie...) tout le monde s'en fout! Mais Israël, c'est le grand méchant, et lui seul est coupable lorsqu'il ne rend pas ses territoires acquis par la guerre au pays vaincu. Ah, d'ailleurs Israël est un des rares pays, justement, à avoir rendu des territoires conquis au vaincu (restitution du Sinaï - en l'ayant enrichi avec des puits de pétrole) et une partie du Golan). Bref, on exige d'Israël ce qu'on n'exige de personne d'autre.
- on parle beaucoup de l'injustice faire aux Palestiniens. Hypocrisie de la part des Français, et surtout de la Gauche française! "Chaque peuple doit avoir son pays, son territoire, son gouvernement". Pourquoi alors ne parle-t-on pas des pays Baltes? Et la Bessarabie (à restituer à la Roumanie)? Restituons à l'Allemagne les pays occupés par les Polonais! Libérons les Berbères et les Kabyles du joug Arabe en Algérie comme au Maroc! "Chez nous, nous avons bonne mine en refusant l'autonomie des Corses et des Basques, qui indiscutablement sont des 'peuples' pas tout-à-fait identiques au Français!" Rendons l'Alsace et la Lorraine aux Allemands! Personne à l'époque n'a protesté contrez l'invasion du Tibet par la Chine!
Pour finir, je le cite, parce que c'est me semble-t-il très clair :
"Tous les pays en cours de croissance reçoivent une aide, soit des Etats-Unis, soit de l'URSS, soit des anciens pays colonisateurs, etc. Or, de tous, Israël est le seul condamné pour cette aide!" p.41
"On est pour le Juif qui se fait massacrer, celui-là, c'est un bon Juif qu'on peut aimer. Mais on est contre le Juif qui s'affirme, se défend et ne se laisse plus massacrer. Celui-là, on est obligé de le détester : car c'est celui-là le vrai Juif! [...] Le seul Juif que l'on accepte, c'est la victime (le bouc émissaire, bien sûr!" p.91-922
"Je déplore, et je l'ai souvent écrit, qu'Israël ait choisi le chemin des "nations", soit devenu un état national comme les autres et qu'il ait pris cette voie damnée pour tous." p.105
"Le Liban a, en réalité,été envahi déjà deux fois, il est occupé par deux armées étrangères. Mais ceci n'a pas fait de vagues. C'est seulement quand Israël s'en mêle que cela devient affreux." p.167
"La non-puissance, ce n'est pas l'impuissance. Cette dernière désigne la situation où on ne peut pas agir par la puissance; alors que la première consiste à posséder une puissance sans pour autant l'exercer." p.254
"L'Etat d'Israël représente tout ce contre quoi je réagis, tout ce que je déteste dans notre monde occidental : la puissance de l'Etat, et l'armée, et le nationalisme, et la technicité" p.260
"Je crois que beaucoup d'Israéliens continuent à être des Juifs fidèles et qu'ils continuent à être croyants mais ce qui est extraordinaire et ce dont personne ne parle, c'est qu'ils cherchent à agir avec justice malgré les circonstances : c'est rarissime, dans des conditions aussi tragiques, qu'on puisse arrêter un soldat qui a commis une faute au cours d'un combat ou permettre à un officier de se retirer d'un combat pour motif de conscience; dans n'importe quel autre pays il serait fusillé. Mais il est évident que plus Israël sera remis en question et plus il aura tendance à se durcir. Or, il est mis en question constamment." p.387
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