[American darling | Russell Banks, Pierre Furlan (Traducteur)]
Il y a 11 ans, Hannah Musgrave, une blanche américaine, a quitté précipitamment le Libéria, où elle vivait mariée à Woodrow, un membre du gouvernement. C’est l’assassinat de son époux et le déclenchement d’une terrible guerre civile qui a motivé ce départ. Elle a laissé sur place ses trois fils, dont elle n’a plus eu de nouvelles.
De retour aux Etats-Unis, elle a racheté une ferme dans les Adirondacks, où elle pratique l’élevage biologique. Voici un an qu’elle a soudainement ressenti le besoin de repartir en Afrique afin de tenter de découvrir ce qu’il est advenu de ses garçons.
Revenue de cette quête, Hannah nous raconte ce qu’elle a découvert, et en remontant encore beaucoup plus loin dans ses souvenirs, elle évoque les événements et les raisons qui l’ont menée en Afrique, puis ceux qui l’ont poussée à la fuir.
Ce roman m’a passionné ! En suivant le parcours hors du commun d’Hannah, des Etats-Unis à l’Afrique, des années 60 à l’aube du XXIème siècle, le lecteur découvre une page de l’histoire américaine vue sous l’éclairage des aspirations et de l’état d’esprit d’une jeunesse issue d’un milieu intellectuellement et matériellement favorisé. En période de guerre froide, ces jeunes ont puisé dans des événements tels que la guerre du Viet-Nam ou la crise de Cuba, les motivations de leur engagement politique et philosophique, qui les mène parfois jusqu’à un activisme terroriste. C’est notamment le cas d’Hannah, qui considère que seul le radicalisme et le refus de toute concession peuvent servir son idéalisme, et qui devient dans son pays une criminelle recherchée.
Paradoxalement, elle porte sur son engagement et celui des autres un regard assez critique, s’interrogeant sur ses motivations profondes : est-ce par sentiment de culpabilité, parce qu’elle se sent injustement privilégiée ? Ou éprouve-t-elle le besoin d’être reconnue pour ce qu’elle est capable d’accomplir, seule, et loin d’un cercle familial où elle n’a jamais véritablement trouvé sa place ? D’autres s’accommodent avec moins de scrupule de leur opportunisme, tel son camarade Zack, qui passe de l’humanitaire au trafic d’œuvres d’art africaines, dès lors que les facilités financières accordées par papa et maman prennent fin.
Toujours est-il que c’est par l’entremise de ce même Zack qu’Hannah échoue en Afrique, où elle se dissimule sous une fausse identité, et qui est de plus le lieu rêvé pour vivre en adéquation avec ses théories sur l’égalité raciale. Là aussi, l’ironie de la situation finit par la rattraper : c’est elle qui finit par souffrir de ségrégation. Entre l’Afrique et les Etats-unis, les différences sont trop grandes, le fossé entre les deux cultures immense, et épouser un libérien n’y change rien… elle est toujours d’abord considérée en tant que blanche américaine.
Russell Banks entremêle Histoire et fiction de façon complètement crédible, et fait d’Hannah un personnage très marquant. Curieusement, je l’ai trouvée attachante : c’est vrai qu’elle fait preuve d’un détachement et d’un froid pragmatisme qui confinent à l’insensibilité, et d’ailleurs elle le reconnaît elle-même, car à aucun moment en revanche on ne peut l’accuser d’être auto-complaisante. Elle avoue ne se sentir aucun instinct maternel, avoir l’impression d’éprouver davantage d’affection pour les chimpanzés dont elle s’occupe que pour ses propres enfants… Et pourtant, le fait qu’elle se pose souvent des questions sur son absence d’émotions, comme si elle tentait de découvrir celle qu’elle est vraiment, derrière cette femme forte et entière, la rend touchante, je trouve.
Tout m’a plu dans « American Darling » : l’histoire (l’Histoire, aussi !), les personnages, l’écriture. Un roman très riche et très enrichissant…
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