C’est une entreprise titanesque, de rédiger un essai d’à peine une centaine de pages sur cet universel éternel et ubiquiste qu’est la connerie, à ne surtout pas confondre avec la bêtise, « cette marche loupée de l’intelligence »…
« J’essaie simplement de démêler l’inextricable – écrit l’auteur. Mes doigts sont hésitants devant une pelote aux cent bouts. Si vous n’avez jamais jonglé avec une ruche bourdonnante d’abeilles, vous n’avez pas l’idée du piquant de la chose. Par où la prendre ? La connerie a-t-elle seulement un commencement et une fin ? Vous attrapez un con, vingt autres se dérobent. » (p. 76)
Ne pas confondre la connerie et la bêtise, c’est d’abord ne pas se méprendre sur les amis nombreux et une ennemie prétendue de la première, la Raison :
« Or l’on prétend qu’elle est ennemie jurée de la connerie. Contre cette opinion, je soutiens qu’il existe entre elles une connivence, que la Raison est conne au moins au deuxième degré, dans un certain usage grossier de ses pouvoirs. Dans le combat amoureusement sadique qu’elle mène contre le réel, avec l’espoir de le subjuguer […] » (p. 54).
Contre l’embarras définitoire, au moins peut-on se défendre par une taxinomie des cas d’espèce, qui ressemble, à longueur de dizaines de pages, à un catalogue de spécimens humains, de leurs comportements et de circonstances de la vie désagréables à l’auteur (bien qu’il renie ce critère) :
« Vous reconnaîtrez un con à ce qu’il se targue d’être approuvé par le plus grand nombre. […] Vous reconnaîtrez tout aussi sûrement un con à ce qu’il gémit sur son insuccès. Voire à ce qu’il s’en drape, la main sur le cœur, dans la pose de l’Incompris. » (p. 14-15).
L’universalité pointe, vous le voyez bien : connaîtra-t-elle des limites ?
« […] j’affirme que les optimistes sont soit des faux-jetons, soit des cons aveugles, souvent les deux à la fois. Les pessimistes, eux, ne sont que des cons aigris et impuissants. Quant à se maintenir hors de ces deux catégories, cela n’est possible qu’à condition de s’inoculer, jour après jour, le narcotique honteux de l’indifférence égoïste. Une bonne partie de l’humanité est composée de cons insouciants, drogués jusqu’aux yeux. » (p. 104).
Si, si quand même… et c’est surtout comme hommage posthume, à l’occasion de sa récente disparition, que j’ai relevé le seul nom, du seul homme qui ait été cité comme contre-exemple de cette universalité (pas même Kant ni Rousseau ne sont épargnés) :
« Voyez la différence entre la connerie satisfaite des personnalités à la mode et la modestie touchante d’un immense esprit, je pense à Claude Lévi-Strauss, un homme qui tient la connerie en garde sans presque s’en rendre compte. C’est qu’il se méfie des illusions de l’individualisme. » (p. 73).
… Les illusions de l’individualisme… ? Hummmmm !
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]