L’éphéméride de Paul Stern débute en février 2007, lors de la crémation de son oncle Charles, oisif et flambeur de son vivant : « Charles Stern me faisait honte. Sa mort aujourd’hui me laissait totalement indifférent. » Il se clôt en janvier de l’année suivante. Entre temps, la vie du neveu Paul, scénariste flottant dans sa cinquantaine désabusée, va se trouver chahutée. Un contrat inattendu l’entraîne en Amérique, l’éloignant de sa femme Anna qui sombre au plus profond de la dépression depuis longtemps déjà, distançant sa famille dont le père, Alexandre Stern, héritier de son frère détesté, met son ancienne vie réglée cul par-dessus tête. Adieu le labeur et la foi ! Voici venu le temps des jouissances ! Paul ne comprend rien aux autres. La proposition hollywoodienne tombe à pic : recomposer le scénario d’un nanard français intitulé Désarticulé, (tout un programme !), afin d’en faire un remake américain. Seulement, dans « l’usine à rêves » californienne, Paul croise Selma Chantz et croit reconnaître sa femme Anna bien des années auparavant quand l’amour était radieux. Il retrouve l’envie de continuer à vivre par cette femme inattendue, sosie parfait, dans cet amour décalqué de son passé mais bien ancré dans son présent. A mesure que sa passion le consume, sa femme Anna sort de son état comateux, là-bas, en France.
Jean-Paul Dubois possède l’art de tailler dans la couenne. A travers des alter ego romanesques, l’écrivain ne se fait pas de cadeau. La « désabusion » est de son monde et le lecteur averti ne peut pas lui donner tout à fait tort. On peut regretter parfois des phrases à l’emporte-pièce qui accumulent autant les termes techniques abscons que les molécules de synthèse inutiles. Soudain, inattendue, jaillit une phrase d’écrivain : « Je n’avais rien oublié de ces trente années, rien sacrifié, rien négligé. Et pourtant il me manquait l’essentiel : la mémoire du moment, la trace des jours invisibles où les choses avaient commencé à déraper, où Anna s’était discrètement éloignée sans que je m’en aperçoive. » La noirceur n’exclut pas l’humour, noir, évidemment. Le récit est ancré dans la réalité de l’année 2007 et les événements politiques se font tailler des croupières. L’inénarrable Sarkozy en prend pour son grade d’omniprésident : « Je veux le monde, Chico, et tout ce qu’il y a dedans. » Le monde va selon des desseins sibyllins que l’humanité ne sait déchiffrer, toute percluse qu’elle est par le temps qui lamine tout et « modifie l’intérieur de nos vies que l’absence assèche ». Composer pour ne pas sombrer, trouver les « accommodements raisonnables ». Dans cette poix de vie, parfois, des « marqueurs de bonheur » surgissent alors qu’on ne les attendait plus. Le roman se clôt sur une note optimiste et le lecteur trouve qu’il n’a pas perdu son temps.
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