La collection
Terres indiennes dirigée par Francis Geffard chez Albin Michel recèle d’incroyables pépites en provenance du grand ouest américain. Le 1er roman de James Galvin,
Clôturer le ciel, ne manque pas de souffle :
« Le coucher de soleil rougeoyait. C’était beau, dépouillé et vide et le ciel avalait tout » et n’affaiblit pas l’extraordinaire richesse du catalogue de l’éditeur (Richard Hugo, Louis Owens, James Welch…). Le roman débute par un règlement de compte, comme dans tout bon western et continue avec une nonchalance feinte par la fuite du cow boy fautif, Mike Arans. Mike et son cheval, Potatoes Browning,
« du nom d’un personnage assez monstrueux dessiné par Robert Crumb », remonte du Colorado vers le Wyoming. Suivi sur les injonctions du shérif par un Indien métis, Jim Thomas, ancien du Vietnam et redoutable pisteur, Mike essaie d’effacer ses traces, en vain. Le roman est construit sur la traque et l’errance des deux connaisseurs de la nature qui semblent s’apprécier mutuellement ainsi que sur une série de retours en arrière qui donne corps aux personnages principaux. Au fil de la chevauchée, le lecteur développe une grande empathie avec Mike, Ad, Oscar dont l’amitié qui se passe de mots mais s’épanouit dans des gestes parfois incongrus constitue l’épice de l’histoire. Comme dans un grand film de Sam Peckinpah,
Pat Garrett & Billy the Kid (1973) ou plus encore
The Wild Bunch (1969), la déambulation dans les grands espaces est jalonnée par une gangrène née de l’avancée du monde moderne qui désagrège les rapports fraternels entre les hommes et leurs liens avec la nature. Dans le récit de James Galvin, la décomposition du grand ouest se perçoit dans le lardage d’autoroutes, les pustules des puits de pétrole, les bubons des taudis abandonnés. Mike avance vers la fin de sa vie, de ses utopies et du monde qui le porte encore. Il le sait et goûte pleinement chaque instant de liberté. Jim, le pisteur, est en vue :
« A l’autre extrémité du canyon, il aperçut un cavalier qui l’observait à l’aide de jumelles. […] Il agita la main. Jim lui rendit son salut. » Dire que c’est Snipes, l’infâme de l’histoire, qui va donner le sens au titre du roman, le lecteur croit rêver ! Ad lui dit :
« Vous n’avez pas de clôture. […] c’est à vous qu’il appartient de vous protéger contre les incursions du bétail ». Snipes répond :
« C’est la nature ici. Je ne veux pas de clôtures. Est-ce qu’il vous viendrait à l’idée de clôturer le ciel ? ». C’est vraiment le monde à l’envers. Ceux qui bousillent tout ont le culot chevillé et le bon droit d’équerre. On devrait comprendre le sens de cette réflexion comme quoi il n’y a aucune limite à la voracité des rapaces de tout poil. Heureusement, James Galvin sait rendre grâce de la beauté du monde :
« A l’automne, quand le premier grand vent se lève et s’enroule autour des feuillages incandescents des trembles, l’air se charge de rafales d’or ». Cet or appartient aux enfants et aux poètes.
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