Un "polar politique d'anticipation" qui met en scène un séisme apocalyptique (bien pire que celui de 1999) s'abattant sur Istanbul et frayant le chemin à un partage des dépouilles d'une Turquie anéantie entre les prétentions hégémoniques américaines et une Union Européenne tout aussi charognarde, unie pour une fois en politique étrangère et dotée de services secrets redoutables. Le premier chapitre est lui-même une sorte de nouvelle noire qui pourrait être autonome, grâce au suspens du meutre d'un militant kurde qui s'avèrera être un traître. La conclusion ressemble à du Ian Fleming (assaut sur le consulat des Etats-Unis), y compris pour le crescendo des multiples relations amoureuses. L'agencement de l'intrigue est plutôt bon, les personnages ont de l'épaisseur, mais le côté idéologique de l'arrière-plan, tout en reflétant fidèlement les griefs de certains intellectuels turcs contemporains envers leurs politiques, la présence américaine en Turquie, ainsi que leur euroscepticisme désormais notoire, me semble finalement encore trop issu d'une vulgate kémaliste "version Cumhurriyet" (un quotidien de gauche trop trop sclérosé): par exemple, la hantise du démembrement du pays, le patriotisme turc délégué en monopole aux militaires, un mépris évident pour les migrants anatoliens mal logés (ici transformés en véritables fauves), la façon de traiter le problème kurde comme sujet prêt à être instrumentalisé par les Américains: est-ce une simple coïncidence que le militant kurde tué soit un traître, et son meurtrier un héros associé des héros?
En ceci, la plume de la journaliste polémiste, hélas, ne parvient pas à prendre son envol vers de la bonne fiction noire, pourtant la technique y est... Dommage.
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