« Anti-prophète », « penseur crépusculaire » : l’excès pessimiste de Cioran fait oublier que son oeuvre est d’abord une méditation infinie sur Dieu. Ce portrait incisif, enlevé et paradoxal montre que la vraie profondeur du penseur est celle d’un mystique contrarié. Rassemblant en lui le tact et l’enfer, Cioran, fils de pope, fut certes « l’aristocrate des vandales », le pessimiste extrême qu’on connaît. Mais ces images masquent la part la plus importante de ses écrits : tour à tour lyrique, polémique, explosive, son oeuvre est d’abord une méditation sur Dieu, Sa mort et l’impossibilité d’y conclure. Lui-même ne confiait-il pas « prier par dégoût » ? Car telle est la vraie profondeur de Cioran : celle d’un mystique contrarié, disciple des Pères de l’Eglise et prophète de la théologie négative, dont le fond est religieux et l’expression, d’aphorisme en aphorisme, digne de ce que la tradition appelle les éjaculations mystiques. Cet essai, bref, dense et plein d’humour dresse le portrait d’un homme qui se voulait élève des Pères du désert, de Maître Eckhart et des bouddhistes. En replaçant Cioran dans la lumière de la pensée qui l’a formé, celle des Pères grecs, des gnostiques autant que celle de Dostoïevski, il montre que le penseur a réussi à reprendre la plus vieille tradition chrétienne et à lui conférer sa modernité : celle d’une recherche de l’absolu, quitte à ne jamais le trouver, autrement que par et dans cette recherche même. Son Précis de décomposition n’est-il pas une réécriture des Arts de mourir médiévaux ? Des larmes et des saints une réinterprétation de Catherine de Sienne ? « Le RIEN même est mesure de DIEU », écrivit-il avant de sombrer dans la maladie. |