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[L'invention de nos vies | Karine Tuil] |
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apo
Sexe: Inscrit le: 23 Aoû 2007 Messages: 1959 Localisation: Ile-de-France
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Posté: Sam 22 Oct 2016 4:10
Sujet du message: [L'invention de nos vies | Karine Tuil]
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L'Invention de nos vies est un roman sur l'imposture et la réussite. Plus exactement, il s'interroge sur la supercherie identitaire comme moyen peut-être unique d'atteindre une certaine réussite sociale universellement, maladivement, spasmodiquement convoitée, fût-elle éphémère.
Dans un premier temps, Samir, alias Sam Tahar, a accédé, depuis la marche inférieure de l'échelle sociale française – celle du fils d'immigrés maghrébins de banlieue – aux plus hautes sphères du pouvoir de la grande bourgeoisie juive américaine, au prix du reniement de son appartenance musulmane troquée contre une orthodoxie juive de façade. Dans un dernier temps, son ancien ami et rival Samuel Baron, s'étant longtemps vautré dans la haine de soi de l'homme de lettres raté et de l'animateur culturel des cités qui dissimule son identité juive (adoptive), accède à une foudroyante réussite littéraire grâce à un ouvrage d'autofiction, La Consolation, qui déforme remarquablement sa biographie placée sous un jour victimaire. Entre les deux temps, la chute, la déchéance absolue du premier est provoquée par son demi-frère, François alias Djamal Yahyaoui, le blond pas même musulman, fils non reconnu d'un député socialiste français avec sa bonne arabe, lequel, depuis son état de petite frappe de quartier, a accédé quelque temps à la fraternité communautariste du djihad, à la réalisation de soi par le radicalisme islamiste, avant d'être arrêté en Afghanistan.
Entre les deux personnages principaux, celui de Nina Roche, la femme qui n'a pour elle que son immense sensualité au seuil du déclin, elle qui semble n'être guère qu'un enjeu de pouvoir et de rivalité érotiques entre eux deux ; ancienne mannequin pour les enseignes de la grande distribution, ce n'est que suite à la déchéance de la rue et du foyer pour femmes en détresse qu'elle va peut-être accéder à une forme d'autonomie par le refus de la « protection » de l'un ou de l'autre.
Je lis donc ce roman, qui date de 2013, peu après L'Insouciance que l'auteure a expressément qualifié de sa suite. Je me convaincs encore une fois de la justesse de la théorie littéraire du menhir : de même que le culte de cette stèle érigée consistait sans doute à lui tourner autour, de même l'écrivain tourne autour de certains de ses thèmes et de ses formes autant de fois qu'il lui faut pour « en faire le tour », sans pouvoir s'en libérer auparavant. Si Douce France marque l'initiation au roman social pour Karine Tuil – et une initiation possède toujours quelque chose de magique –, L'Invention de nos vies constitue certainement un premier tour dont L'Insouciance est le second, à mon sens plus abouti. La structure présente des similitudes, notamment dans « le drame » ; le souci du réalisme et l'ancrage à la contemporanéité sont là, de même que les thématiques identitaires – judaïté, racisme, islamisme, discriminations, ghettoïsation ; le personnage féminin est aussi défini par son inscription dans le désir masculin et caractérisé par sa domination, sa soumission ; le style enfin, qui débute dans sa forme la plus rêche, la plus « abrasive » – dirait peut-être l'auteure qui aime bien ce mot [moi aussi] –, ici en particulier par des recherches typographiques et de ponctuation inédites (les comparses identifiés en quelques mots dans des notes de bas de page [j'ai bien aimé!], la scansion descriptive souvent ternaire avec une séparation par barres obliques, quelques mots entiers en capitales d'imprimerie, etc.), qui cependant sont moins mûres, s'estompant grandement au fil des pages sans véritable usage systématique ni sens univoque.
Je ne sais pas vraiment quelle est la raison de ma tiédeur vis-à-vis de ce premier volet. Le contrat lectoral est pourtant rempli : ça se lit bien, c'est bien pensé, bien construit, ça tient en haleine et cependant il y a quelque chose de « grand public », qui se ressent déjà depuis la couverture du livre, le recto comme le verso (où KT est photographiée sur page entière déguisée en femme transgressive - Ah ! à quelles métamorphoses/compromissions/escobarderies ne se soumettrait-on pas pour le succès...)
Cit. :
« [...] Tu veux que je te dise ? J'ai fait tout ça pour te tester et tu es comme lui ! Une opportuniste ! Une arriviste ! Vous êtes les purs produits d'une société corrompue jusqu'à l'os ! Réussir... Réussir... cet idéal social hallucinatoire ! Cette ambition grotesque ! [...] » (p. 160)
« [Aux Etats-Unis] La discrimination est un véritable enjeu politique, social, électoraliste. Chez nous, ça reste un tabou, une question qui dérange. Je ne dis pas qu'elle n'est pas abordée, elle l'est - mais mal. [...]
En France, un étudiant noir, d'origine maghrébine, un étudiant avec un nom à consonance juive ou étrangère, peut être interrogé à l'oral et si, à l'issue de cet examen, il est recalé, il pensera souvent qu'il l'a été en raison de ses origines. La suspicion de l'inégalité - ce poison. Et le pire, c'est qu'ils ont parfois raison !
[...]
Il a cru qu'il réussirait mieux en contournant la question ethnique et il a échoué puisque la seule réponse qu'il ait pu apporter, c'est une mystification identitaire. [...] Comment aurais-je agi si je m'étais trouvé dans la même situation que lui, avec mes doutes, mes obstacles dressés par la société elle-même en violation des impératifs égalitaires les plus élémentaires ? Eh bien, je crois que j'aurais fait comme lui ! » (pp. 408-409)
« Samir n'avait jamais cru à l'équilibre des rapports sociaux : le monde fonctionnait par l'enchevêtrement de réseaux d'influence, par cooptation, échange de services, prises de pouvoir - procédés divers renforcés souvent par des liens supplémentaires : même orientation sexuelle ou religieuse, même appartenance sociale ou ethnique, connivence amicale ou sexuelle (cette dernière étant, selon lui, la plus puissante, celle qui permettait d'obtenir le plus de concessions, de tenir littéralement l'autre [...]) » (p. 456)
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[L invention de nos vies | Karine Tuil] |
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Message |
borduro
Sexe: Inscrit le: 03 Avr 2006 Messages: 13 Localisation: bures sur yvette
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Posté: Mar 20 Jan 2015 17:24
Sujet du message: [L invention de nos vies | Karine Tuil]
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Samir Tahar semble avoir tout réussi dans la vie. Enfant des cités, il s'est battu pour se faire une place et pour sortir de la misère. Malgré de brillantes études d'avocat, il peine à trouver du travail et pense que la consonance arabe de son nom y est pour quelque chose. de Samir, il devient Sam et se trouve engagé, sur un malentendu, dans l'un des cabinets les plus réputés de Paris. Son patron, un juif altruiste et paternaliste l'envoie aux Etats-Unis pour tenir les rênes de sa succursale. Là-bas, il fera un bon mariage avec Ruth Berg, la fille, juive, de l'une des plus grandes fortunes du pays. Tous le pensent juif et ignorent qu'il a bâti sa réputation sur un mensonge, une dissimulation. Rien ne semble pouvoir ébranler l'assurance de ce prédateur au charisme indéniable, magnétique qui a su s'inventer une histoire et duper ceux qui l'entourent. Mais deux personnes connaissent la vérité : Samuel et Nina, ses amis de jeunesse qu'il n'a pas vu depuis des années. La belle Nina, pour laquelle il a éprouvé une violente passion quand il avait vingt ans, mais qui a choisi de rester avec Samuel par faiblesse, par pitié, par culpabilité… Alors, quand elle reprend contact, il saute sur cette occasion de la reconquérir. A quarante ans, Sam ne doute de rien, alors même qu'il a tout à perdre si son secret est révélé…
Je n'en dirai pas plus sur l'intrigue, tant les ficelles et les enjeux qui se tissent entre les différents personnages sont nombreux, complexes et réservent bien des surprises. Karine Tuil nous plonge avec eux dans la spirale infernale du mensonge, des faux-semblants et de la dissimulation. Jusqu'à quel point peut-on se faire passer pour ce que l'on n'est pas ? Où se trouve la vérité quand on joue la comédie en permanence? Peut-on renier sa famille, sa culture, ses amis sans se perdre soi-même ? Quel est le prix à payer pour réussir ? Un roman qui pose la question de l'identité, de l'appartenance à une communauté, du racisme. Un livre sur la réussite, le succès, la richesse et la performance, où tout n'est que représentation et duperie. Karine Tuil nous emmène aux sommets de la gloire pour mieux nous montrer la déchéance provoquée par la chute de ces personnages prisonniers de leurs propres mensonges, de leurs ambitions et de leurs rêves de prospérité. Une chose est sûre, personne ne ressortira indemne ! Un roman magistral, parfaitement orchestré qui se lit avec une certaine avidité tant on est pris par l'engrenage qui emprisonne les différents personnages. Une lecture addictive et captivante, bref, j'ai adoré !
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[L'invention de nos vies | Karine Tuil] |
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Message |
BlueSyrinx
Sexe: Inscrit le: 05 Nov 2013 Messages: 266 Localisation: Paris
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Posté: Jeu 28 Nov 2013 23:43
Sujet du message: [L'invention de nos vies | Karine Tuil]
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Samir est un avocat brillant habitant New York; il a tout ce qu'il a toujours souhaité obtenir dans la vie. Vingt ans plus tôt, son chemin a croisé celui de Samuel et Nina, qui vivent quant à eux une existence faite de rancœurs et de regrets. Mais Samir a bâti son succès sur un mensonge : il a pris, pour réussir, l'identité de Samuel, et s'est enlisé dans un piège qui menace à tout instant de se refermer sur lui.
Un livre puissant, multiple, dense et riche. On est transporté, parcouru par la tension sur laquelle repose l'oeuvre, inexorable. Une belle plume, et une exploration des caractères qui permet d'éviter de sombrer dans les lieux communs qui pourraient pourtant jalonner la trame.
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