[Un petit jeu sans conséquence | Gérald Sibleyras, Jean Dell]
Claire et François font, paraît-il, figure de couple stable, emblématique. Pourquoi donc, dans la demi-heure où Claire prétend être en cours de séparation avec François, tout le monde se met-il à prétendre le contraire ? Tout le monde, ce sont les invités à l’anniversaire de la mère de François, qui va bientôt vendre la maison de famille où tous se retrouvent pour la dernière fois. On ne verra que trois d’entre eux, en dehors du couple taillé dans le roc : Axelle, la grande amie de Claire, Patrick, l’intenable cousin de François et Serge, le fils de la meilleure amie de la mère de François. Serge a longtemps vécu en Norvège, est revenu de loin en loin et un jour, a aperçu Claire à un enterrement…
Attention, des divulgâcheries suivent :
J’ai vu la pièce il y a une dizaine d’années (ou plus?) en spectacle vivant (compagnie Les Improbables, mis en scène par Lionel Severian), puis dans le film de Bernard Rapp et elle m’avait paru plus riche qu’en deux dimensions et soixante-douze pages. En revoyant la bande-annonce, je reconnais que c'est dû au fait que Rapp a fait apparaître et parler les personnages invisibles de la pièce. Dans la pièce originelle, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer la minceur du scénario, les dialogues en mode « il/elle a dit que… il/elle m’a appris que » qui permet de resucer la même information en l’enrobant d’un surplus d’indignation dû à l’indiscrétion ou à l’indélicatesse. Même le comique de répétition ne s’y accroche guère.
Il est plus qu’évident que Claire n’a pas fait d’acte manqué en prétendant que leur couple était fini, qu’elle n’a pas non plus de motif sérieux de vouloir s’en défaire ; ce qui me frappe et que je n’avais pas assez remarqué les deux fois précédentes, c’est à quel point l’entourage était prêt, voire même souhaitait la fin du soi-disant couple "de référence". L'ironie glacée de Serge m'apparaît soudain moins comme celle d'un amoureux transi qui vient tenter sa chance (il se présente de cette manière très romantique et j'avais presque autant marché que Claire) que comme celle d'un beau parleur opportuniste ; je suppose tout autant que l'avantage d'une telle pièce, si elliptique malgré les couches qui se posent et se saturent de page en page, est qu'on peut y projeter ce qu'on veut y voir.
Citations :
Serge : (...) On sait que la journée est foutue.
Claire : Pas pour vous, vous n'êtes pas très concerné par tout ça.
Serge : C'est vrai. Néanmoins, j'ai des raison de me réjouir, comme tous les hommes ici d'ailleurs.
Claire : Pourquoi ?
Serge : Vous êtes célibataire !
Claire : Et vous pensez que ça réjouit tous les hommes ?
Serge : Tous ceux qui ont du goût.
Un temps.
Claire : C’est vrai François, t’es prévisible, t’es sans risques ! (…)
François : Moi je suis un gros lourdaud les deux pieds dans la glaise et je te regarde passer, toi, une étoile au firmament de l’aventure ! (…) Explique-moi comment tu as pu rester vingt ans avec moi ? Comment une flèche incandescente comme toi a pu partager la pitoyable existence d’un type aussi plan-plan, aussi prévisible que moi ? Il a bien fallu que tu y trouves ton compte ?
Claire : Oui… sans doute.
François : Certainement même ! Tu t’es jamais vraiment plainte, du reste. Tu ne m’as jamais supplié de rompre l’accablante monotonie de notre minuscule existence.
Claire : T’aurais pas compris !
François : « J’aurais pas compris »… Parce qu’en plus je suis un crétin ! Mais en fait, t’as gâché ta jeunesse avec une merde vivante comme moi ! (...)
Claire : Oh ! Tu m’embrouilles ! C’est moi qui t’engueule !
François : Je pense qu’au fond, tu n’as pas grand-chose à me reprocher. J’ai l’impression que c’est ça qui t’embête !
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