Dans une maison de retraite, une employée propose à ses résidents de faire un exercice de synthèse en choisissant trois mots pour leur vie. Pourquoi seulement trois ? Une des résidentes un peu goguenarde en propose sept (esclave, reine de l’évasion, meurtrière, terroriste, espionne, amante et mère) et le récit va se diviser en huit chapitres, les huit vies de Mook Miran, dans le désordre.
C'est ce désordre qui est piquant et amène beaucoup de curiosité, car dans la lecture des premières vies, on se demande comment Mook Miran (qui aura d'autres identités) pourra vivre les autres : cela paraît dès le début improbable. Certains récits sont faits par un autre personnage, j'apprécie ce procédé littéraire de la polyphonie, mais vu le contexte rédactionnel, il paraît très improbable. Ces personnages ont-ils été contactés ? ont-ils laissé des textes ?... Il ne semble pas. Mais l'ébullition pendant laquelle on est en se demandant le lien avec Mook Miran - qui n'est pas livré immédiatement - fait partie de ce qui retient l'attention (pageturner, dit-on).
J'ai donc beaucoup aimé ! Certaines vies sont agréables, on ne veut pas s'en échapper alors même que (vérifions le nombre de pages du chapitre...) ça ne va pas durer, certaines sont vraiment épouvantables, des pièges, des prisons, une maison XII récurrente. Le contexte est la deuxième guerre mondiale, l'occupation japonaise puis la scission des Corées, la dictature en Corée du Nord, que je découvre avec intérêt en littérature pour la première fois.
A lire si vous aimez découvrir un pays, son histoire, une plume efficace et ne pas pouvoir anticiper les péripéties.
Merci à Babelio et aux éditions Phébus d'avoir pensé à me proposer ce livre et de m'avoir laissé une complète liberté d'expression à son sujet.
Citations :
Bien que les apparences lui importent peu lorsqu'il s'agit d'amour, elle se délecte de la beauté physique inattendue de son époux. Elle ne croit pas à sa chance : elle n'a jamais imaginé que quelqu'un qu'elle apprécie pour son esprit et sa chaleur puisse être aussi séduisant.
Parfois, elle sort la nuit pour observer le fleuve Yalu. Sous la pleine lune, il semble mener sa propre existence. Alors que le clair de lune frappe la surface, l'eau se scinde en milliers de petites corps noirs scintillants - des carpes de jais, pour certains, ou une simple armée de serpents, ou encore une colonie de petits phoques, constamment en mouvement, tous dans la même direction. Le fleuve fredonne avec vigueur tandis qu'il suit son cours, respirant au travers de ses milliers de branchies obscures. La vue et le son lui semblent magiques. Au matin, pourtant, le soleil redonne à l'eau sa teinte verdâtre habituelle.
- (...) Ça a été la plus belle période de ma vie. Vivre avec lui à Pyongyang. L'économie allait bien, à l'époque. Les enfants dans la rue avaient encore les joues roses et le corps potelé.
Malgré moi, mes yeux s'embuent. Mon incapacité à me maîtriser m'irrite. Je serre les poings sous la table. Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes, laissant de minuscules croissants de lune. Une légère douleur pour me réancrer ici et maintenant.
La police secrète a commencé, au beau milieu de la nuit, par couper l'électricité dans tout le bâtiment. Puis ils ont rendu une petite visite aux étudiants dans chaque chambre, à l'improviste. Ils repéraient d'abord le lecteur de cassettes. S'ils sentaient la moindre source de chaleur sur la machine, ils remettaient l'électricité et lançaient le lecteur pour vérifier son contenu. Si la vidéo était considérée comme propre, un support de la propagande de la famille Kim, vous étiez tiré d'affaire. Toutefois, trouver un adolescent devant un film de propagande après minuit était aussi improbable que de croiser Bouddha dans un bordel.
Ma passion pour la Bible a également survécu : lorsque j'ai cessé de la voir comme une source de vérité, elle s'est mise à me fasciner en tant qu’œuvre de fiction, si riche en récits de cape et d'épée enchanteurs et de leçons poignantes sur la folie humaine.
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