La part animale.
John Alec Baker (1926-1987) est un homme de terrain ; ses pensées s'y accrochent et en décollent, s'y nourrissent et s'en émancipent. Nourries d'observations collectées au fil des jours dans des carnets, ses réflexions s'enrichissent naturellement pour prendre des tournures inédites, originales, pertinentes ainsi des quatre points cardinaux associés à des couleurs et à des formes ou encore lorsque le chant d'un oiseau se traduit dans un parfum, pour l'engoulevent : "les raisins écrasés, les amandes et le bois sombre". Pourtant, l'alchimie la plus étonnante se produit progressivement, à mesure que les heures s'accumulent et que les pages se noircissent, avec la métamorphose animiste de l'homme en oiseau. Baker devient le Pèlerin et parle en son nom. Au début des années soixante, le rapace, alors au bord de l'extinction, détruit par les épandages massifs de pesticides, devient l'emblème d'une nature qui se meurt. Dans l'estuaire de la Tamise où prospecte inlassablement Baker, les oiseaux sauvages se comptent par milliers : "Sept cents vanneaux, un millier de mouettes, deux cents ramiers et cinq mille étourneaux s'éloignaient en spirales, en cercles dilatés". La précision naturaliste s'accorde à la frappante beauté du récit. Dans les openfields nus et boueux, l'ornithologue, obstiné, cloué au sol, scrute inlassablement le ciel à la recherche du pèlerin "se découpant sur le bord éclairé du nuage sombre, petite ombre sur des flots d'éblouissement solaire". Une insondable mélancolie finit par sourdre de cette métaphysique du vide d'autant que les impressions prémonitoires de l'auteur se répercutent aujourd'hui, soixante ans plus tard, avec les extinctions animales massives et définitives.
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