Swann
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Posté: Sam 30 Mar 2024 11:03
Sujet du message: [Mrs Dalloway | Virginia Woolf]
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Dans Londres d'après la première guerre mondiale, soigneusement explicitée par les notes de la traductrice Marie-Claire Pasquier, nous suivons Mrs Dalloway et les passants qu'elle croise, les personnes qu'elle connaît dans un roman polyphonique. J'ai cru y reconnaître, vers le début, des accents proustiens, puis les volutes stylistiques satiriques d'Albert Cohen, peut-être l'intériorité narrative de Faulkner, mais il est facile pour moi de comprendre la fascination qu'elle inspire. J'ai beaucoup aimé le regard acéré qu'elle porte sur les conventions, les rapports humains, montrant à quel point ils nécessitent de prendre sur soi, de même que ce kaléidoscope de focalisations.
En effet, la façon dont elle retranscrit les pensées de Septimus, un jeune époux en pleine bouffée délirante serre le cœur : elles sont belles, poétiques, angoissantes et probablement non pas extrapolées mais déjà vécues par l'autrice, si j'en crois les notices. J'en aura la confirmation dans la "Genèse..." qui clôt le livre, cette proximité personnelle avec Septimius et sa voix intérieure l'a troublée et inquiétée de mettre autant d'elle-même dans ce personnage. Beaucoup de personnages névrosés ou pires. Je pense à la terrifiante Miss Kilman, estimant avoir été insultée par Mrs Dalloway... J'ai cru avoir eu une absence et je suis retournée lire le passage de leur rencontre : si quelqu'un était insultant, c'était Miss Kilman aux pensées méprisantes, agressives. Magistral !
Particulièrement moderne, cette façon de faire tenir ces centaines de pages en une seule journée, quand on le comprend, il s'ajoute une tension dans la lecture.
La fin est... cela dépasse mes mots.
Je note au passage que je connais plus d’œuvres cinématographiques (et documentaires) parlant de l'autrice que de ses œuvres mêmes (Haunted House, Kew Gardens, dont je n'ai pas daigné faire des notes de lecture dignes de ce nom), malgré mon intention de lire Mrs Dalloway depuis The Hours, le titre du film aurait dû être celui du roman).
Citations :
Et voilà, se dit Septimus en regardant le ciel, ils me font des signaux. En fait, pas vraiment avec des mots ; enfin, pas dans une langue qu'il sache déchiffrer ; mais c'était bien assez évident, cette beauté, cette exquise beauté, et les larmes lui vinrent aux yeux tandis qu'il regardait les mots de fumée s'effacer et se fondre dans le ciel et lui dispenser leur charité inépuisable et leur bonté rieuse, une forme succédant à une autre, d'une beauté inimaginable, et lui signalant leur intention de lui prodiguer, pour rien, pour toujours, simplement parce qu'il les regardait, de la beauté, toujours davantage de beauté. Les larmes coulaient le long de ses joues.
C'était "toffee" ; ils faisaient de la réclame pour du toffee, dit une nurse à Rezia. Ensemble elles se mirent à épeler : t... o... f...
"CH... R..." dit la nurse, et Septimus l'entendit dire "CHAR", tout contre son oreille, d'une voix profonde, douce, comme un orgue aux sons moelleux, mais avec quelque chose de crissant comme une sauterelle, qui lui racla délicieusement l'épine dorsale, et qui envoya dans son cerveau des ondes sonores qui se brisèrent en l'atteignant. Merveilleuse découverte en vérité, le fait que la voix humaine puisse, dans certaines conditions atmosphériques (car il faut être scientifique, scientifique avant tout) donner vie aux arbres. (...) Mais ils firent signe ; les feuilles étaient vivantes ; les arbres étaient vivants. Et les feuilles, reliées par des millions de fibres à son corps sur le banc, l'éventaient de haut en bas ; quand la branche s'étirait, il en faisait autant.
Milicent Bruton, dont les déjeuners avaient réputation d'être extraordinairement amusants ne l'avait pas invitée. Aucune jalousie vulgaire ne pouvait la séparer de Richard. Mais elle craignait Bruton, comme sur un cadran solaire taillé dans la pierre indifférente, l'amenuisement de la vie ; le fait qu'année après année, sa propre part s'amoindrissait ; que la marge qui restait n'était plus capable d'absorber les couleurs, les sels, les tons de l'existence, de sorte que lorsqu'elle entrait dans une pièce, elle la remplissait, et que souvent, lorsqu'elle se tenait hésitante un instant sur le seuil de son salon, elle ressentait un délicieux suspens tel que celui qui pourrait retenir un plongeur avant l'élan cependant que la mer s'assombrit et s'illumine au-dessous de lui et que les vagues qui menacent de se briser, mais ne font que fendre en douceur leur surface, roulent, dissimulent et enveloppent, en se contentant de les retourner, les algues qu'elles teintent de couleur perle.
On ne peut pas mettre des enfants au monde dans un monde tel que celui-ci. On ne peut pas perpétuer la souffrance, contribuer à la reproduction de ces animaux libidineux, qui n'ont pas d'émotions durables, rien que des caprices et des vanités qui les font dériver tantôt par-ci, tantôt par-là.
De façon plus sacrilège encore, [ses patients] mettaient en cause la vie elle-même. A quoi bon vivre ? demandaient-ils. Ce à quoi Sir William répondait que la vie était un bien. Bien sûr, quand on a Lady Bradshaw en plumes d'autruche au-dessus de sa cheminée, et des revenus de douze mille livres par an. Mais nous, protestaient-ils, la vie ne nous a pas donné tout ça. Il acquiesçait.
"Je ne vais jamais à des soirées", dit Miss Kilman, rien que pour empêcher Elizabeth d'y aller. "Les gens ne m'invitent pas à des soirées" - et elle sut à l'instant même où elle disait cela que c'était cette forme même d'égocentrisme qui était sa perte. Mr Whittaker l’avait prévenue ; mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle avait trop souffert. " Pourquoi est-ce qu'ils m'inviteraient ? dit-elle ; Je ne suis pas belle, je ne suis pas heureuse." Elle savait que c'était idiot. (...) Tout de même, elle était Doris Kilman. Elle avait son diplôme universitaire. Elle était une femme qui avait fait son chemin dans la vie. Sa connaissance de l'histoire moderne était plus que respectable.
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