Forfaiture.
Il fallait bien la mise en abyme des « Ménines » (1656) de Diego Velasquez pour introduire les vertigineuses « Indes fourbes » (2019) d’Alain Ayroles et Juanjo Guarnido. Le prologue de la bande dessinée auquel l’épilogue répond dans un bel effet de perspective, permet au lecteur de pénétrer la toile du maître baroque dont la composition déjà fort complexe peut bien souffrir une nouvelle présence à quelques siècles d’intervalle. Dans l’œuvre des deux auteurs contemporains, l’histoire picaresque qu’ils vont dérouler sur plus de cent cinquante pages est aussi ingénieuse que fluide, malicieuse que mouvementée. Don Pablos de Ségovie, antihéros arriviste par nécessité, répond aux canons du genre picaresque né dans l’Espagne du XVIe siècle. « Picaro » signifie misérable et futé. Don Pablos, pitoyable mais plein de finesse, narre ses aventures pittoresques et exotiques et traverse toutes les couches de la société pour en donner une vision critique mais contrairement au roman picaresque où les épisodes jaillissent sans réelle cohérence et vraisemblance, les chapitres ici se suivent et s’emboîtent parfaitement. L’histoire se répond de bout en bout et propose des contrepieds, des retournements de situations et des pieds-de-nez. Alain Ayroles, scénariste fin et cultivé, riche et vif, continue le roman inachevé « El Buscón » (1626) de Francisco de Quevedo et lui apporte une force neuve et une portée nouvelle sans pour autant dénaturer l’œuvre originelle. Juanjo Guarnido, artiste multi-récompensé à juste titre, montre toute l’étendue de son art dans des planches somptueuses gorgées de vie et d’expressivité où le travail sur les multiples trognes n’exclut pas le soin apporté à la luxuriance des décors. La science de la composition, les cadrages multiples, la richesse des couleurs, la maestria graphique sont au service de la narration. Les deux talents ainsi conjugués ont hissé une bande dessinée au niveau d’une œuvre classique atemporelle.
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