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[Des hommes justes | Ivan Jablonka]
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Posté: Jeu 31 Aoû 2023 5:12
MessageSujet du message: [Des hommes justes | Ivan Jablonka]
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Cet essai ambitieux et dense parvient à établir de façon exhaustive et portant succincte une étude sur le patriarcat, entendu comme « point aveugle de la démocratie » c-à-d. comme exception au principe d'égalité. À la fois historique et philosophique – sans se priver d'une optique comparatiste toujours très appréciable – il aborde en premier lieu le phénomène de patriarcat dans son ampleur et ses développements au fil des millénaires. Une contribution essentielle et originale est constituée ici par le concept de « fonction-femme », qui identifie comment le patriarcat réduit le féminin à un moyen (au lieu d'une fin) de service à l'homme et à la société et notamment dans la reproduction. S'ensuit une partie (deuxième) sur l'antithèse de cette instauration et expansion du patriarcat, sous forme d'histoire de l'émancipation des femmes, notamment par l'avènement d'une société de droits individuels. Cette histoire se superpose partiellement avec l'histoire des deux familles du féminisme (égalitaire et différentialiste), tenant compte aussi des figures historiques des hommes féministes et de développement d'un féminisme d’État, sans oublier l'apport juridique international mais aussi les spécificités nationales. Une troisième partie ajoute à cette dialectique les dommages provoqués aux hommes par le patriarcat, et ce à cause des propres failles intrinsèquement contenues dans le masculin : cette partie offre donc une lecture originale à la fois des critiques contre le patriarcat (le masculin et le féminin pouvant être mis en regard sans victimisation), et du « déclin de la virilité », analysé ab initio dans une deuxième dialectique de crises et de revanches (backlashes) internes au virilisme, depuis le IIe s. av. J.-Ch. à Rome (et le moralisme de Caton comme revanche), jusqu'à la décennie 2010 (et la revanche des populismes).
Enfin la quatrième partie profile les contours d'une éthique de genre fondée sur trois conditions (que nomme chacun des trois premiers chap. de cette partie) : l'instauration de masculinités « de non-domination », « de respect » et « d'égalité », pour aboutir à la finalité de « dérégler le patriarcat ». Dans ce chap. conclusif, une attention particulière est accordée au rôle que les hommes ont à jouer, au sein d'un féminisme inclusif, dans le but d'une égalité dont le prérequis est la conscientisation des privilèges auxquels ils doivent consentir à renoncer, à partir du couple et de l'intimité de la parentalité. Les réformes sociétales requises sont naturellement évoquées, mais elles sont plus connues.
Dans divers compte-rendu de cet ouvrage, j'ai lu des références à une partie qui relate l'expérience de la paternité de l'auteur : à mon grand regret, l'édition que j'ai en main ne comporte pas une telle partie. À sa place, beaucoup plus platement, l'Épilogue déplore « les procès en appropriation culturelle [qui] interdisent aux hommes de parler du féminisme, aux Blancs d'évoquer l'esclavage » (etc.).



Table [avec appel des cit.] :

Introduction – Révolutionner le masculin

Première partie – Le règne de l'homme

1. La mondialisation du patriarcat
2. La fonction-femme [cit. 1]
3. Les masculinités de domination

Deuxième partie – La révolution des droits

4. Le premier âge de l'émancipation
5. Les conquêtes du féminisme [cit. 2]
6. Qu'est-ce que l'émancipation ? [cit. 3]
7. Des hommes féministes
8. Le féminisme d'État

Troisième partie – Les failles du masculin

9. L'homme en ses aliénations [cit. 4, 5]
10. Les pathologies du masculin
11. Le déclin de la virilité

Quatrième partie – La justice de genre

12. Les masculinités de non-domination
13. Les masculinités de respect [cit. 6, 7]
14. Les masculinités d'égalité
15. Dérégler le patriarcat [cit. 8]

Épilogue – Ce que peut l'homme injuste



Cit. :


1. « Et des centaines de millions de femmes disent oui, soit parce que c'est leur choix, soit au contraire parce qu'elles n'ont pas le choix. À la fin de _The Creation of Patriarchy_ (1986), Gerda Lerner livre cette conclusion troublante : "Le système patriarcal ne peut fonctionner qu'avec la coopération des femmes." Cette coopération s'acquiert par l'endoctrinement, la privation éducative, la coercition et la discrimination, mais aussi par le consentement des intéressées, au profit d'un système de régulation sociale. La force inouïe du patriarcat, c'est qu'il finit par être confortable pour tout le monde, et l'on comprend qu'il faille une force tout aussi inouïe pour le remettre en question. » (p. 73)

2. « […] quelle que soit l'interprétation qu'on donne à la phrase "les hommes naissent et demeurent libres et égaux", on ne peut éviter de se poser la question : et les femmes ? La fin des privilèges implique la fin de ceux que possèdent les hommes. L'égalité des droits contient l'égalité des sexes. Bien sûr, Christine de Pisan, Marie de Gournay et Mary Astell avaient déjà défendu, en leur temps, le principe d'égalité. Mais dans une société d'ordres où personne ne détient de droits, où les puissants eux-mêmes n'ont que des rangs et des titres, leurs revendications ne pouvaient rester que sur le plan spirituel. C'est pourquoi les droits des femmes sont indissociables de la première modernité – autonomie individuelle, règne de la loi, société civile, cette "sortie de l'état de minorité", comme dit Kant.
[…]
Dès lors que les révolutions enclenchent la lutte contre le despotisme et les privilèges, le féminisme est né. […] Par la suite, le féminisme consistera à combler le fossé entre les inégalités réelles et la promesse universelle. Et peu importe la manière dont on le nomme – "féminisme" en France et dans toute l'Europe à la fin du XIXe siècle, "cause des femmes" en suédois ou "nouvelle doctrine de la femme" sous la plume de la Japonaise Takamure Itsue –, le féminisme n'est pas un mot, mais un combat pour la reconnaissance des droits des femmes dans une configuration sociopolitique qui les rend pensables et possibles. Aujourd'hui, la Révolution française est terminée, mais pas la révolution féministe à laquelle elle a donné naissance. » (pp. 125, 127)

3. « Il est plus stimulant de mettre en relief les polarités qui structurent le féminisme. En simplifiant des pensées complexes et en évolution, on peut distinguer un 'féminisme de l'égalité', qui postule l'identité fondamentale entre les femmes et les hommes au nom de leur commune humanité, et un 'féminisme de la différence', qui met l'accent sur la spécificité des femmes, du féminin et du maternel. Si ces deux féminismes s'entendent pour lutter contre les injustices et les discriminations, le premier vise à l'émancipation de toutes et de tous dans la tradition des Lumières, alors que le second organise la résistance d'un groupe confronté à la domination masculine. Entente des sexes fondée sur le soif de justice, ou lutte des sexes comme réponse à l'oppression ? Société d'égaux ou séparatisme de combat ? » (p. 149)

4. « Les mésaventures du guerrier [Achille] soulignent un trait important des masculinités de domination : l'homme doit sans cesse prouver qu'il en est un. Le masculin porte en lui-même une inquiétude, la peur d'être indigne de son sexe. Il est donc intrinsèquement fragile, doutant de lui-même, craignant de ne pas être à la hauteur ; d'où ces provocations, ces ostentations, ces sacrifices, toutes ces "belles morts" qui sont autant de surenchères.
Les crises du masculin existent dès l'Antiquité, et indépendamment de toute revendication de la part des femmes. En revanche, les hommes doivent apprendre à se barricader contre ces dernières, sous peine de déchoir. » (p. 216)

5. « La dureté éducative et sociale que les garçons subissent se traduit en violence, violence contre eux-mêmes et violence contre les autres – mais seule cette dernière retient l'attention. La prise en charge des "enfants de la loi", bâtards, enfants abandonnés, délinquants, jeunes en rupture de ban, obsède les institutions depuis la Révolution française. Tous ne subissent pas un redressement dans les colonies pénitentiaires, mais tous sont jugés pervertis par leur famille ou par la rue : leur masculinité, débordante et dangereuse, doit être filtrée par une éducation sainement virile qui saura transformer le sauvageon en citoyen. Dans la seconde moitié du XXe siècle, ce modèle d'intégration est appliqué en France aux jeunes Maghrébins des cités et aux États-Unis aux jeunes Noirs des ghettos, des "mauvais garçons" dont l'inadaptation sociale vient confirmer la déviance ethno-culturelle. Le résultat en est, en France, un cycle d'émeutes et de répression et, aux États-Unis, une incarcération de masse.
La peur de la déviance juvénile, en lien avec l'échec scolaire, la sous-culture de rue et la délinquance, se répand jusqu'à ériger la masculinité en problème de société : à l'âge scolaire, les garçons sont plus souvent accusés d'être des perturbateurs. […] L'éducation virile fait place au mal-être et à la rage, et la société répond par la pathologisation. » (pp. 224-225)

6. « Pourquoi tant de femmes couchent-elles avec un homme sans en avoir envie ? Pour certaines, il est difficile de descendre de l'"escalator sexuel", censé mener directement du premier rendez-vous à l'intimité physique – comme si elles craignaient de vexer leur soupirant. Facteur aggravant : le sentiment que dire non ne servira à rien. Mais pourquoi tant d'hommes sont-ils "motivés", voire excités par un refus ? Une femme qui ne parle pas, qui ne bouge pas, qui ne répond ni aux mots ni aux gestes, est en train de dire non. Ce refus, indicible à cause de la gêne, de la peur ou de la sidération, est le contraire du consentement. Celui qui couche avec une femme réticente, passive, amorphe, figée, tétanisée ou ivre morte n'aura peut-être pas un casier judiciaire de violeur, mais il a assurément une âme de violeur. » (p. 328)

7. « Le patriarcat ne suggère aux hommes qu'une palette très restreinte de sentiments : respect pour la fonction-femme, mépris pour la femme impure. C'est aux hommes de s'arracher à cette pauvreté d'âme. Siècle après siècle, le masculin a imposé au féminin une haine de soi qui touche jusqu'à Simone de Beauvoir, pour qui le vagin est un organe "caché, tourmenté, muqueux, humide ; il saigne chaque mois, il est parfois souillé d'humeurs, il a une vie secrète et dangereuse". […]
Sur ce chapitre comme sur les autres, les hommes n'ont pas à "aider" les femmes à êtres libres ; mais ils peuvent se désolidariser de la culturalisation misogyne du corps féminin, qui consiste à l'entourer de mystères et de superstitions. » (p. 338)

8. « Si l'on transcrit l'éthique de réciprocité dans les relations de genre, on obtient une première maxime : "Agis avec une femme comme tu voudrais qu'on agisse avec ta propre fille".
[…]
[…] le principe de l'action doit faire abstraction des caractéristiques (ici, le sexe et le genre) de la personne qui en sera l'objet. On obtient alors cette deuxième maxime : "Agis avec une femme comme si tu agirais si tu ignorais son sexe".
[…] Mais précisément, cette règle d'anonymisation sexuelle ne convient pas à tous les rapports de genre, par exemple la séduction […] On obtient alors une troisième maxime : "Agis avec une femme de telle sorte que son genre et le tien puissent être intervertis". Ce principe d'action empêche les manifestations d'autorité du masculin, tout en encourageant les échanges et les hybridations propres à enrichir sa définition.
En fin de compte, la justice de genre exige que les hommes obéissent à une triple règle de réciprocité, d'impartialité et de réflexivité. Ce féminisme universel, fondé sur une éthique de genre, permet d'impliquer les hommes et de sortir du romantisme pro-femmes. » (pp. 385-387)

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