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[Le visage de l'Italie | Gabriel Faure (dir.)]
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Posté: Sam 04 Fév 2023 16:11
MessageSujet du message: [Le visage de l'Italie | Gabriel Faure (dir.)]
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Qui se souvient-il que Mussolini fut un instigateur convaincu (et peut-être efficace) du tourisme étranger en Italie, notamment par le truchement d'un organisme étatique, l'ENIT (Ente Nazionale Industrie Turistiche) ? Mais qu'entend-on par tourisme dans ces années 1920-1930 où l'on ne voyageait pas en avion et, si on le faisait en automobile, cela méritait d'être spécialement mentionné ? Et surtout qu'entendait-on alors par guide touristique ? Ce « beau-livre », deuxième tirage d'un ouvrage datant de 1929, certainement impossible à transporter (il pèse près de 2,5 kg!), se compose, pour ce qui est des textes, de récits de voyages par des auteurs français (et une autrice, les femmes voyageuses étant encore exceptionnelles...), pour moi tous des inconnus – même l'académicien – qui décrivent chacun une région d'Italie, ainsi que d'environ 700 illustrations photographiques de monuments et de paysages, en noir et blanc naturellement.
Dès la préface, la question de fond la plus importante est posée : le fascisme est pétri d'idéologie moderniste, il a le futurisme pour esthétique d'État, il veut donner de l'Italie l'image d'un grand pays jeune, robuste, qui est en train de réaliser d'imposants changements et dans lequel d'énormes chantiers de rénovation sont en cours. En revanche, la littérature de voyage en Italie, surtout celle des écrivains-voyageurs français, qui narrent des expéditions antérieures parfois de quelques décennies à leur rédaction, est encore nettement sous l'influence du Grand Tour, et en particulier des auteurs romantiques : Stendhal, Chateaubriand, et Byron en premier lieu... Le style des textes ici rassemblés ne démentit pas cette influence, aussi bien dans la description de cette Italie monumentale immémoriale du tournant du XXe siècle, que dans la manière d'y voyager en prêtant si peu d'attention à la population locale mais beaucoup à l'Histoire et aux arts, et aussi en prenant son temps pour contempler et méditer. Il est question d'une prose qui a pour nous un délicieux goût suranné : le lecteur y est interpellé et tutoyé, on ne saurait s'abaisser à lui fournir aucun renseignement pratique ni même à décrire les pièces des musées qu'il visitera, ni à douter qu'il ne soit entièrement familier de la mythologie grecque et des auteurs romains, des péripéties biographiques de Dante, des innovations picturales de Giotto ou du Tintoret ni de la gourmandise de Rossini... On devise entre connaisseurs, on partage des sentiments, d'où l'intimité !
De manière complémentaire et cohérente, on peut observer que l'esthétique des illustrations est celle des cartes postales de l'époque – j'allais presque dire des estampes fin XIXe qui succédèrent aux tableaux de ruines –, splendides photos d'où sont absents personnages et toute scène vivante, pas même un marché ou un port animé ou une avenue passante. Cela à l'exception tout à fait significative des seuls chapitres sur la Sicile et la Sardaigne, dans lesquels, outre les monuments et les paysages, figurent presque autant d'images « ethnographiques ». Elles représentent des métiers traditionnels (filature, tissage, etc.), une jolie petite paysanne farouche et sans souliers, un vieillard chenu au regard profond, des charrettes tractées par des équidés ou des bovidés, des riches costumes féminins et masculins qui ne relevaient peut-être pas encore du folklore, des processions, des troupeaux au pâturage, des cadres de « vie familiale », des panoramas avec enfants déguenillés et gallinacés qui courent sur des rues non pavées...
Voilà donc un visage magnifique d'une certaine Italie déjà historique à la parution du livre, en antithèse vis-à-vis de la propagande du régime, visage dans lequel par ex. apparaît encore le majestueux château de Reggio de Calabre, entièrement démoli par le tremblement de terre de 1908, mais visage qui inclut par contre les villes et villages d'Istrie qui aujourd'hui n'appartiennent plus au territoire italien (et ne portent même plus le même toponyme).
Quelle était la teneur de l'Introduction par Benito Mussolini ? À mon grand regret, je ne le saurai pas, car les quelques pages introductives ont été soigneusement découpées et retirées de cet ouvrage – qui a été un vrai trésor acquis pour 1 euro dans une brocante en Italie. L'ont-elles été au lendemain de la chute du fascisme par un propriétaire soucieux de ne pas se compromettre (je l'espère) ou bien beaucoup plus récemment, par un brocanteur véreux qui a pensé et peut-être réalisé son seul vrai profit par la vente séparée de quelques feuillets portant une signature qui n'est plus stigmatisée (je le crains) ?
Et les auteurs, les Français, hormis leur passion pour l'Italie, que pensaient-ils du fascisme en écrivant ces pages ? Assurément pas un mot d'opposition n'y est contenu ; au contraire, le chapitre sur l’Émilie mentionne la ville de Forlì qui « […] s'enorgueillit plus encore aujourd'hui d'être celle de Mussolini, le "duce" qui a sauvé l'Italie de l'anarchie, pour la conduire vers de nouvelles et glorieuses destinées. » (p. 120) ; de plus, certains articles se terminent par des petites phrases élogieuses du chef et/ou influencées par sa rhétorique (cf. cit 5). Mais cela peut très bien n'avoir été que rajout et opportunisme, éventuellement par les soins du directeur littéraire de l'ouvrage, Gabriel Faure, voire même de l'éditeur italien...



TABLE DES CHAPITRES

Introduction : Benito Mussolini
Piémont, Ligurie : Henry Bordeaux
Lombardie : Jean-Louis Vaudoyer
Vénétie : Gérard d'Houville
Émilie : Gabriel Faure
Toscane : Paul Bourget
Ombrie : Georges Goyau
Marches : Edouard Schneider
Abruzzes : Maurice Mignon
Rome et Latium : Pierre De Nolhac (de l'Académie Française)
Naples et Campanie : Henry de Régnier
Italie méridionale : Eugène Marsan
Sicile : Marcelle Vioux
Sardaigne : Paul Guiton
Vénétie Tridentine : Ernest Lémonon
Vénétie Julienne : Marcel Boulenger


Cit. :


1. « Les grands navires, leurs fumées, leurs sirènes, le grincement de leurs treuils, le roulement de leurs cargaisons sont là, tout près. Mais, dans le jardin à la fois vaste et clos, tu retrouves un végétal silence. Arbres fruitiers, frères des fruits de pierre que tiennent, en des coupes, des Pomones, statues velues de vert, bassins et longues pergolas de grappes et de corolles... Parterres aux tons vifs ou doux, frais ou violents, allées aimables conduisant à des bancs de pierre sur la prairie qui est un rivage et d'où l'on contemple à l'infini le miroir de l'eau. Le crépuscule est favorable à ce jardin ; les gondoles, au loin, sont les pétales épars d'une très grande fleur noire que quelque dieu triste, jadis, effeuilla. Toutes les cloches jettent à l'espace de l'air et de l'eau leurs sons pleins d'âme. Quelque sirène de bateau marchand y répond par un long cri triste, celui du travail humain et de ses convoitises illimitées. » (Gérard D'Houville, pp. 94-95)

2. « Encore aujourd'hui, Florence le conserve, ce caractère irréductible. Il suffit de la comparer à la Rome actuelle ou à Paris pour le constater. Ces deux villes sont certes, l'une bien italienne, l'autre bien française, mais elles sont aussi internationales. Florence, non. Elle accueille pourtant beaucoup d'étrangers. Mais – et c'est ici le cas de marquer la différence entre l'internationalisme et le cosmopolitisme – ils tiennent d'elle à mieux servir leur propre pays. Car c'est ceci le cosmopolitisme : s'enrichir sans altérer en soi le sens national. L'internationalisme, le nom seul l'indique, est précisément le contraire. » (Paul Bourget, pp. 142-144)

3. « On passerait des heures à rêver ici, car cette désolation sans mesure attire. La rumeur de la mer confond les cigales ; le vent dans les hautes herbes a d'inouïs chuchotements, de terribles confidences. Un sentiment d'horreur s'empare de l'esprit à l'idée de tout ce que les hommes abandonnés ont élevé vers les cieux : colonnes, flèches de cathédrales, minarets, pagodes, obélisques, pylônes... C'est une gigantesque prière de pierre que ces Grecs exilés ont dressée là. Et la prière formidable elle-même s'est écroulée... "Que sommes-nous ? Que ne sommes-nous pas ? Le rêve d'une ombre, voilà les hommes !..." s'écrie Pindare. » (Marcelle Vioux, pp. 302-304)

4. « Venait-elle aussi d'Espagne, cette charmante coutume du "fastiggiu" selon laquelle les jeunes Sardes faisaient la cour ? Qu'un jeune homme distinguât une jeune fille, que celle-ci l'agréât, les parents, apparemment du moins, ne s'en mêlaient point. La rencontre avait lieu à la promenade, dans une rue de la ville, à l'église peut-être, mais sans qu'une parole eût été prononcée, un signe même échangé en public, ce que la bonne règle n'eût jamais supporté. Les regards suffisaient. Les regards d'amour sont si riches d'expression ! L'amoureux ne se faisait pas présenter ; il ne pouvait bénéficier de rencontres dans des cercles d'amis : il était encore moins admis à pénétrer dans la maison ; mais il lui était loisible, depuis la rue, d'entretenir sa belle autant qu'il le voulait aux grillages du rez-de-chaussée ou aux fenêtres libres des étages. Les parents ne devaient y être pour rien. Il leur suffisait que leur fille ne sortît point de la maison. Lorsque le jeune homme en franchissait le seuil, c'était pour la demande en mariage officielle, et on admettait que les noces se devaient faire dans la quinzaine. Mais le "fastiggiu" pouvait durer des années. » (Paul Guiton, pp. 330-331)

5. « J'entends les cris, les chants le long des rues... En vérité, toute l'âme italienne semblait rayonner autour de ce foyer brûlant : Fiume ! Ce nom signifiait honneur, patrie, fierté, confiance, amour... Aujourd'hui, Fiume est redevenue un port tranquille, noyé dans la douceur qui enveloppe toutes choses auprès des vagues bleues. Sur le quai, où ne défilent plus les soldats enthousiastes, flânent ou pérorent des gens de mer ou de négoce. Là-haut, tout au sommet de la cité, s'élève le palais où le Commandant [D'Annunzio] veillait et travaillait toutes les nuits infatigablement. Un peu plus bas serpente la ville ancienne, la Fiume primitive aux ruelles tortueuses. Non loin, sur l'autre rive de la Fiumara, voici le faubourg de Sussak, et ce sont les Croates...
[…]
Il y a, outre les Alpes, de bien plus belles villes que Fiume : mais pour ceux qui, comme nous, aiment de toute leur âme la grande Italie d'aujourd'hui, cette cité palpite et frémit. Ce n'est pas un voyage, mais un pèlerinage que l'on accomplit vers ce lieu de gloire, de gratitude et de dévotion. » (Marcel Boulenger, p. 384)

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