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[La Démocratie féministe | Marie-Cécile Naves]
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Posté: Mar 20 Déc 2022 17:01
MessageSujet du message: [La Démocratie féministe | Marie-Cécile Naves]
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Le paratexte de ce livre évoquait chez moi deux questionnements : 1. le (ou les) féminisme(s), aussi intersectionnel(s) soi(en)t-il(s), possède(nt)-t-il(s) une envergure thématique suffisante pour caractériser une forme nouvelle et inédite de démocratie ? 2. si oui, quel est le degré de réalisabilité concrète et pratique d'une telle démocratie – ou ne s'agit-il pas d'une autre, nouvelle utopie politique ? Pour conforter mes deux questionnements, venait l'incipit à la fois évident et saisissant de l'ouvrage :
« Ce fut l'une des premières images de l'année 2020 : Greta Thunberg et Donald Trump assistant le même jour, le 21 janvier, au forum économique mondial de Davos. Il et elle s'y sont exprimé.e.s à deux moments différents, se sont à peine croisé.e.s, mais les journaux et les chaînes de télévision, parlant de "match", illustrant articles et reportages de leurs photos respectives, côte à côte, ont renforcé, confirmé, ancré un peu plus l'idée que Trump et Thunberg incarnent deux visions opposées du monde, deux approches irréconciliables qui partagent une radicalité : maintenir ou bien renverser un mode dominant de production et de consommation, un rapport aux autres et à la planète. » (p. 11)
En d'autres termes : Trump antiféministe, on connaît, mais Thunberg, de quel féminisme est-elle ou serait-elle l'emblème ?
Au fil des pages, la problématique de l'essai inverse la logique de mes questionnements ou au moins en renverse la temporalité : les populismes « néofascistes » (il est surtout question de Trump, Bolsonaro et Orban) alors encore plus nombreux qu'aujourd'hui, par leurs politiques de prédation du monde et d'autrui mises en œuvre selon une idéologie de la domination outrancière assumée et revendiquée envers les groupes sociaux faibles-dominés (parmi lesquels les femmes) ainsi que de spoliation des ressources naturelles, par une praxis du renforcement délibéré des inégalités, ont promulgué et fomenté l'antiféminisme avant même que le féminisme n'ait à théoriser son opposition envers tout ce que ces régimes représentaient et réalisaient. Les « droits des femmes comme projet politique » naissent en quelque sorte par réaction, y compris #MeToo. Et d'autre part, souvent affectées en première ligne et plus rudement par les catastrophes sanitaire, économique, environnementales, politiques concomitantes ou engendrées par ces régimes ou par leur gestion des crises (cf. Covid-19, précarisation de l'emploi, interrogations sur la dévalorisation des métiers du « care »), les femmes ont été les premières à manifester partout dans le monde. Elles le sont toujours, à bien regarder. A suivi une systématisation théorique basée sur l'empirisme des expériences vécues, notamment des expériences de militantisme, qui semble se décliner en deux aspects : une nouvelle forme de leadership de genre féminin (et non de sexe, attention !), c'est-à-dire un leadership contestant la notion même de domination, d'une part, et une intersectionnalité radicale consistant à adopter dorénavant une approche « gender conscious » vis-à-vis de toute la pensée et l'action politiques, d'autre part.
En spécialiste de la politique états-unienne, l'autrice a basé sa démonstration sur la subtile mais indéniable métamorphose du parti démocrate en opposition à Trump, accueillant en son sein des personnalités féministes et adoptant quelques formes du leadership féministe dont il est question ; mais la démonstration est étoffée par une attention – assez rare dans les médias français – à l'égard de toutes les manifestations et revendications de par le monde, et également à la « diplomatie féministe », qui feraient presque penser à l'émergence d'une « internationale féministe ». De plus, dans leur diversité, ces théories et pratiques de la contestation féministe du néolibéralisme ont fait surgir une sorte d'influence « soft », ou d'hégémonie culturelle naissante (dirait Gramsci) qui impose certaines thématiques dans le récit comme dans la recherche universitaire, certains médias (réseaux sociaux) ainsi que certaines formes d'émancipation et de transmission du savoir et de l'expérience alternatifs aux canaux traditionnels fortement muselés par ces régimes. De là, et seulement en dernière instance donc, on peut émettre l'hypothèse d'un début de modification de la démocratie, qui aspire ou tente de fonctionner par un pouvoir inclusif, fondé sur davantage d'écoute et de participation, plus imaginatif, créatif et émancipateur, basé sur la « politique des liens faibles » et sur un débat plus vivace. Tous ceux-là ne sont-ils pas des attributs propres à la démocratie ?
Il ne s'agit donc pas d'une révolution antilibérale portée par un paradigme féministe, mais des interstices « libérés » de la domination du patriarcat prôné par le capitalisme autoritaire que de multiples formes d'oppositions féministes et féminines résistant à l'attaque néolibérale-néofasciste parviennent à s'approprier en catimini... Que Greta Thunberg, suffisamment vilipendée par tout l'arsenal du virilisme, parvienne tout de même à obtenir une popularité mondiale et à s'exprimer aux tribunes du pouvoir le plus établi...
Les résultats sont encore embryonnaires, mais le corpus est suffisamment varié, référencé et bien construit pour que l'intuition soit recevable.



Table [abrégée avec appel des cit.]

Introduction. Pouvoirs au XXIe siècle

Première partie. Pouvoir prédateur contre pouvoir émancipateur. Féminisme et antiféminisme aujourd'hui.

I. Les politiques virilistes assumées des populismes néofascistes [cit. 1]
II. Les droits des femmes comme projet politique [cit. 2]
III. Deux récits qui s'affrontent

Deuxième partie. Leadership de domination contre leadership féministe.

I. Les nationaux-populistes bombent le torse
II. Déconstruire les stéréotypes sur le leadership féministe

Troisième partie. Nouveaux contextes, nouvelles incarnations du pouvoir. Un féminisme omniprésent. [cit. 3]

I. Quand les femmes manifestent partout dans le monde
II. Renouveler la politique et le politique par le genre [cit. 4]

Quatrième partie. Pour un pouvoir inclusif et solidaire. Féminisme et démocratie.

I. Inverser la définition de force
II. Comprendre et gérer les crises de manière collective
III. Vers un nouveau modèle démocratique ? [cit. 5]



Cit. :


1. « Tout se tient, finalement. Défendre le patriarcat est d'autant plus possible et encouragé dans un cadre néolibéral que celui-ci induit à non seulement prendre possession de l'économie, mais aussi à maîtriser les normes culturelles. Les opinions, discours et pratiques sexistes et homophobes – ainsi que racistes – sont vus comme des libertés individuelles qu'il importe de défendre absolument contre une tyrannie progressiste nourrie de théories mystificatrices. Une certaine rage s'exprime dans un besoin absolu de faire ce qui plaît en tant que mâle blanc dominant, qui ne doit pas être limité dans ses actes et paroles par une "bien-pensance" menée notamment par les "féminazies", selon l'expression inventée par l'animateur de radio ultra-conservateur américain Rush Limbaugh, décoré en janvier 2020 de la médaille de la liberté, la plus haute distinction civile des États-Unis, par le président Trump. » (pp. 61-62)

2. « […] Les pays du Nord qui ont opté pour une diplomatie féministe n'ont pas toujours évité l'écueil de l'approche néocoloniale, qu'il s'agisse de politiques de développement top-down ou de contradictions dans ces politiques, malgré les mises en garde des mouvements féministes transnationaux contre le risque que la diplomatie féministe reprenne les mêmes codes que la diplomatie traditionnelle. Persistent, de fait, certains angles morts. La dimension intersectionnelle est essentielle pour croiser les enjeux de genre, de classe et de race, et pour promouvoir une approche genrée de tous les sujets de l'agenda international, en tenant compte, en particulier, des besoins et des attentes des populations. C'est pourquoi l'apport de la recherche académique et participative via des protocoles scientifiques faisant appel aux acteurs et actrices de terrain, aux citoyen.ne.s, aux associations, est indispensable pour appréhender le réel dans sa transversalité, en priorisant la dignité humaine, l'égalité et l'inclusion, tout en évitant le piège du relativisme culturel. C'est le seul moyen de résoudre la tension entre idéalisme et pragmatisme. » (pp. 90-91)

3. « Il ne s'est pas simplement agi de s'engager contre le projet antiféministe de Trump, mais aussi de construire un contre-programme politique sur l'environnement, le racisme, les inégalités sociales. Une grande partie des nouvelles candidates et élues, d'origines et d'horizons très divers, ont contribué, avec leur base militante, à déplacer l'agenda du parti démocrate vers la gauche et souhaité promouvoir un autre discours et un autre style politiques que celui du parti. Beaucoup ont raconté comment leur expérience personnelle, professionnelle ou associative avait construit leur motivation à s'engager, leur pensée politique, leur vision du monde.
[…]
L'engagement féministe, c'est donc aussi prendre le lead à partir de l'expérience concrète, quotidienne, des individus pour les représenter et défendre leurs revendications dans la sphère médiatique et politique. Le renouveau de l'engagement des démocrates, qui a permis l'élection de nombreuses femmes, mais aussi d'hommes, est notamment dû à un renouveau du militantisme à gauche de l'échiquier politique.
[…]
Ces dernières années, de nombreux mouvements non violents et progressistes, initiés ou portés par des femmes, parfois très jeunes, ont participé au renouvellement des cadres de pensée et d'organisation des partis politiques ou des mouvements associatifs, qu'il s'agisse bien sûr de Greta Thunberg ou de Jamie Margolin, cofondatrice du mouvement Zero Hour pour la défense de l'environnement, mais aussi de Varshini Prakash, cofondatrice de Sunrise. […]
[…]
Mais ce que l'on constate, chez AOC [Alexandria Ocasio-Cortez] comme chez Thunberg ou González, c'est un style politique qui, des prises de parole en meeting ou au Congrès à la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux, en passant par les interviews, forme un leadership qui n'est pas aveugle face aux questions de genre dans l'agenda d'une part, et qui s'écarte des stéréotypes de genre dans la posture d'autre part. Ce leadership se caractérise par la rupture avec les rhétoriques de force et de domination et par un refus de la docilité. Il est combatif autant que coopératif, déterminé, ambitieux et à la fois soucieux de prendre en compte les expériences vécues. Il est incarné aussi par des figures masculines [...] » (pp. 147-152)

4. « Alors que le renforcement et la justification des stéréotypes et inégalités genrés, ainsi que la lutte contre leur déconstruction sont une obsession des populistes nationalistes et des régimes autoritaires, et que d'autres gouvernements s'en accommodent, les approches "gender conscious", autrement dit délibérément conscientes des enjeux de genre, commencent à peine à être mobilisées, notamment dans la diplomatie féministe, pour réduire des inégalités qui concernent tous les pays du monde. Travail, emploi, pauvreté, discriminations liées à l'origine, à la religion, à la couleur de peau, à l'apparence physique, au territoire de vie, mais aussi santé, éducation, développement, migrations, environnement, guerre et processus de paix, sport, culture, autrement dit tous les items de l'agenda pourraient être systématiquement analysés au prisme du genre. Une telle approche, croisée avec d'autres, permettrait de lutter contre certains angles morts. Cette étape est nécessaire à l'élaboration d'actions politiques plus efficaces. » (pp. 185-186)

5. « Les gouvernements et les citoyen.ne.s, mais aussi les jeunes, futur.e.s citoyen.ne.s, sont face à une alternative : s'approprier le monde, autrement dit conforter les actions prédatrices sur les autres et la planète, ou bien l'approprier, c'est-à-dire transformer les rapports humains et la relation avec le vivant non humain avec pour but la durabilité et le mieux-vivre (ensemble). Exacerber les identités contraires, les frontières et le repli sur soi, ou bien reconnaître les interactions entre les personnes, entre les groupes qui ne cessent de se multiplier à l'échelle locale comme mondiale et les écosystèmes. La prise de conscience de notre "communauté de destin" sur terre, avec la Terre, conduirait à mettre sur pied une "souveraineté solidaire" des pays et des peuples, dotée d'objectifs et de responsabilités partagés. Face à la peur et à l'imprévisibilité, la réponse peut être celle d'un pouvoir d'oppression ou bien celle d'une reconnaissance de la richesse des interdépendances librement consenties pour construire un nouveau projet politique.
Le féminisme peut aider à penser une nouvelle philosophie morale (laquelle n'est pas une nouvelle moralité, un nouveau système d'injonction) qui, en dépassant le cadre traditionnel de la rationalité et de l'autonomie pensées comme fondement de l'action individuelle, lève le voile d'ignorance sur une multiplicité de savoirs, d'expériences et de relations. C'est précisément parce que nous ne sommes pas des êtres atomisés, détachés de tout lien culturel et émotionnel avec les autres, mais aussi parce que nous avons davantage de latitude dans l'entretien de ces liens que nous sommes des sujets politiques. » (pp. 270-271)

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