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[La trique, le pétrole et l'opium | Ivan Segré]
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Posté: Mar 11 Oct 2022 13:25
MessageSujet du message: [La trique, le pétrole et l'opium | Ivan Segré]
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La thèse fondamentale de cet essai très brillant, excellemment documenté et remarquablement bien structuré, qui s'inscrit « dans la tradition révolutionnaire juive », c'est de contester qu'il y ait un retour du religieux en politique internationale. Une première argumentation concerne la laïcité française, qui fait figure d'exception dans le monde et notamment dans un paysage constitutionnel européen (naturellement reflété aussi dans les traités de l'UE) très explicitement chrétien – catholique, protestant ou orthodoxe. [Dans ces premiers chap. très documentés, l'auteur se laisse aller à une polémique contre (un pamphlet de) Jean-Luc Mélanchon, pour bien se conformer au stéréotype : « les marxistes qui s'entre-tuent » (!), laquelle s'avère néanmoins utile ex post.] Mais la laïcité française, elle aussi, doit être analysée dans sa double nature, tantôt progressiste, tantôt réactionnaire-colonialiste-xénophobe – comme l'illustre la loi sur le « foulard ». Au-delà du religieux, s'impose une compréhension du pouvoir et la domination, qui renvoie au capital et à sa dialectique ancienne et renouvelée avec le pouvoir étatique : la terreur du supermarché comparée à celle du camp de concentration/goulag. Cela constitue l'objet d'une première « méditation » déclinée en 7 chap. et intitulée « La prêtrise laïque » qui se concentre principalement sur la France.
Dans la seconde « méditation », « La désidentification », la même récusation de la primauté du religieux se développe autour de Moyen-Orient, où, au lieu du prétendu conflit de civilisations entre islam et Occident ou même de celui réel mais très circonscrit, israélo-palestinien, l'auteur adopte une optique résolument matérialiste et géopolitique qui place en exergue la ressource pétrolière et in fine la nature génératrice de profondes inégalités de la rente qu'elle génère. Bien que ce deuxième volet de la démonstration ne soit pas inconnu, voire même qu'il soit généralement accepté par de nombreux analystes, il est surprenant que, porté jusqu'à ses conséquences extrêmes, il s'avère porteur d'explications qui ne sont généralement pas admises, par ex. quant au djihadisme, au « Printemps arabe », aux inégalités socio-économiques qui explosent à l'intérieur de l’État d'Israël, parmi d'autres... La grille d'analyse de l'impérialisme des hydrocarbures s'avère encore plus pertinente que celle, historique, du colonialisme.
En marge de l'argumentation de politique internationale classique, l'on trouve aussi avec plaisir une démonstration d'ordre plus philosophique qui révèle les analogies entre l'impératif capitaliste « jouis ! » et l'impératif djihadiste « meurs ! » lesquels se rattachent à leur tour, à travers Alain Badiou, à une fulguration lacanienne sur la relation entre capitalisme-prédation-jouissance masculine (phallique) d'une part, et jouissance féminine-sobriété-praxis révolutionnaire d'autre part : un fil rouge qui, dans les pages conclusives seulement, est noué avec Judith Butler et (de façon décidément inattendue) avec la Bhagavad-Gîtâ...



Cit. :


1. « De 1984, date de la suppression du "chef de famille" dans le droit civil, à 2004, date du vote de la loi dite du "foulard", vingt ans se sont écoulés. Est-ce que la seconde décision est la suite logique de la première ? Ou est-ce que la suppression de la référence au "pater familias" de la Rome antique est un progrès social, tandis que la loi interdisant le voile et la kippa dans les écoles de la République est une transgression, et comme une rémanence coloniale, sinon le retour d'un refoulé xénophobe ? » (p. 54)

2. « La différence entre la terreur socialiste et la terreur capitaliste fut donc, en résumé, la suivante : la dictature socialiste fut une terreur policière s'exerçant principalement sur le peuple national, c'est-à-dire le peuple habitant le territoire sur lequel s'exerce le pouvoir de l’État ; la démocratie sous condition du capital fut une terreur impérialiste s'exerçant principalement sur des peuples étrangers, habitants des territoires étrangers. Il y a ainsi d'un côté le terrorisme d’État, policier et territorialisé, de l'autre le terrorisme du capital, impérialiste et déterritorialisé. À titre d'illustration, comparons la Chine et les États-Unis : la Chine est gouvernée par un parti unique, dictatorial, tandis que les États-Unis sont un modèle de démocratie ; mais tandis que la Chine dispose d'une seule base militaire à l'extérieur de ses frontières, à Djibouti, "les États-Unis disposent du plus grand contingent militaire à l'étranger : près de 200.000 hommes répartis dans 800 bases et 177 pays à travers le monde". » (pp. 70-71)

3. « […] faisons l'hypothèse que la jouissance féminine est le ressort, à la fois rationnel et mystique, d'une praxis révolutionnaire. Autrement dit, faisons l'hypothèse d'un lien secret entre la structuration inégalitaire et prédatrice de l'échange marchand sous condition du capital et la jouissance masculine (phallique). Comme si, au fond, pudibonderie patriarcale et pornographie libérale faisaient cause commune. Alliance d'un fantasme d'absolu (la trique) et d'un risible réel (l'opium) dont la jouissance féminine serait l'antidote. » (p. 89)

4. « Il est certes avisé de reconnaître que certains musulmans "confondent le livre avec un manuel de terreur, et la lecture avec une grimace sanglante" [Jean Birnbaum], mais il est donc à craindre que leur "terreur" comme leur "grimace" soient l'image réfractée d'une force idéologique et militaire dont il importe d'examiner d'abord les déterminations économiques. Car au Moyen-Orient, depuis 1945, la détermination en dernière instance n'est pas l'islam (ou le "djihadisme"), mais bien le pétrole, énergie fossile autour duquel gravitent les forces idéologiques, économiques et militaires les plus obscures, les plus rapaces, les plus criminelles et peut-être, en définitive, les plus semblables. C'est pourquoi, aux yeux d'un marxiste, nommer le djihadisme et souligner avec insistance "la force autonome de l'élan spirituel" sans nommer le pétrole, objet de toutes les convoitises, source de toutes les énergies, cela revient à s'interdire de combattre "l'ennemi", sinon de manière illusoire. » (pp. 126-127)

5. « La politique à l'égard de l'islam, en France et au-delà en Occident, se résume donc en ces quelques mots : tolérance minimale à l'égard du prolétariat arabo-musulman ; tolérance maximale à l'égard des émirs du pétrole et du gaz. Et c'est de l'extension d'une telle politique à tout le Moyen-Orient que résulte le "malheur arabe", lequel a pour visage, outre le "déficit démocratique", un stigmate reconnaissable entre tous : le Moyen-Orient est la région la plus inégalitaire de la planète. C'est de ce "malheur", porté à son paroxysme par les interventions occidentales in Irak, puis la guerre civile en Syrie, que sortit Daech, l'ennemi "djihadiste". » (p. 172)

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