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[La question climatique | Jean-Baptiste Comby]
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apo



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Posté: Sam 02 Juil 2022 21:34
MessageSujet du message: [La question climatique | Jean-Baptiste Comby]
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La thèse de cet essai de sociologie des médias peut ainsi se résumer : alors que la question climatique est étroitement liée à l'écologie politique et à sa remise en question du modèle capitaliste de production, de consommation, de croissance indéfinie et de maximisation des profits, le discours médiatique sur le climat, qui est monté en puissance depuis le début des années 2000 (et notamment depuis la canicule de l'été 2003), s'est organisé autour de la dépolitisation de cette problématique. Cette dépolitisation implique ceci : une substitution des causes des problématiques climatiques par certaines de leurs solutions, notamment en matière d'économies d'énergie ; une occultation relative des pollueurs liées à la production (industrielle, agricole et du transport des marchandises) par rapport à l'inculpation des pollueurs individuels côté consommation des ménages (transports individuels et consommation énergétique dans les logements, surtout pour le chauffage) ; une polarisation entre la doxa environnementale dictée par le pouvoir (faite notamment de politiques incitatives vs. « l'écologie punitive » de la réglementation) et les « climato-sceptiques » au détriment de toutes les analyses critiques non-conformistes et radicales ; une dissimulation des plus grandes responsabilités en matière environnementale des styles des vie valorisés car typiques des classes dominantes par rapport à ceux des classes défavorisées. Quant aux moyens par lesquels une telle dépolitisation a été accomplie, l'essai analyse classiquement la sociologie des médias : le traitement de l'information, les origines et trajectoires sociales des journalistes et des « experts » y compris la disqualification des journalistes militants des origines, la collusion des tenants de la parole légitime avec les institutions publiques et les instances de pouvoir économico-politiques (ex. le « rétropédalage » sur une campagne publicitaire à paraître sur la nocivité environnementale des véhicules 4x4 afin de ne pas « froisser » l'industrie automobile...), le faible budget gouvernemental alloué à l'environnement, et enfin, surtout, l'application à l'écologie de la recette universelle du néolibéralisme et du new public management : l'individualisation des problèmes, la culpabilisation psychologisante de l'individu persuadé de son propre insuccès ou de sa propre incompétence, afin que l'origine structurelle desdits problèmes (ici le système productiviste) soit invisibilisée.
La thèse de cet essai est très intéressante et bien construite. Mais je regrette la disproportion entre l'effort de démonstration et la relative évidence des sujets démontrés : souvent, la simple lecture des intitulés des chapitres suffit à se convaincre, sans s'attarder dans de longues pages parfois pesantes et techniques, malgré les encadrés qui sont supposés faciliter la compréhension de points spécifiques...



Table [et appel des cit.]

Introduction : un problème public individualisé :
- Critique écologique et "ordre social capitaliste"
- Individualiser : une orientation politique conservatrice
- Les médias dominants révélateurs des mécanismes générateurs de conformisme
- Tenir ensemble le social et le symbolique

1. Un traitement journalistique conformiste :
- Quand les questions climatiques accèdent à la dignité médiatique
- La doxa sensibilisatrice dans les JT et les faux-semblants de l'objectivisme
- Un mode de traitement "anecdotique" jugé rentable et noble
- La promotion journalistique des initiatives en matière d'énergies renouvelables et d'économies d'énergie
- Défaire les ancrages militants : un enjeu structurant la reconnaissance sociale du journalisme environnemental
- De nouveaux entrants moins attachés à l'écologie que les spécialistes historiques
- Des dispositions critiques en voie d'extinction [cit. 1]

2. Mobilisation des scientifiques et expertise légitimante :
- Internationalisation des recherches et décontextualisation du "climat"
- Expertise du Giec et ordonnancement politique de la parole scientifique
- Le rapprochement entre les scientifiques climatiques français et les champs du pouvoir à la fin des années 1990 [cit. 2]
- La contribution des scientifiques et des experts au conformisme médiatique sur le climat
- Croyances "médiacratiques" et mobilisation contre les "climato-sceptiques"

3. Des politiques de dépolitisation :
- Institutions publiques dominées et marchandisation des politiques environnementales
- Le gouvernement des individus à l'heure du new public management [cit. 3]
- Un coup de force statistique : "Les Français sont responsables de 50% des émissions des GES"
- Ingénieurs sociaux, mythes de la réception et "psychodicée universalisante"
- La montée en puissance des communicants dans la fabrique de l'action publique
- Une action publique de communication

4. Ce et ceux que la doxa sensibilisatrice marginalise :
- L'occultation des enjeux de l'adaptation et des inégalités sociales d'exposition aux conséquences du problème climatique
- Mobilisations de consensus et folklorisation des alternatives [cit. 4]
- Comment la rhétorique écocitoyenne épargne les styles de vie pollueurs

5. Un climat favorable aux groupes sociaux dominants :
- La faible contribution du capital culturel à la réduction de l'empreinte carbone des modes de vie [cit. 5]
- Le caractère écologiquement insoutenable des styles de vie socialement valorisés
- Saisir les schèmes d'appréhension du problème
- Ethos des classes sociales supérieures, éducation et prévoyance écologique
- Les rapports distants des classes populaires à la morale écologique
- Le paradoxe social de l'écocitoyenneté

Conclusion [cit. 6]

Postface : la médiatisation du climat entre 2007 et 2011 en France : un cadrage globalement inchangé :
[...]

Annexes
[...]



Cit. :


1. « Dans l'état actuel du champ médiatique, la valorisation des enjeux environnementaux implique la neutralisation de leur arrière-plans normatifs. Les points de vue qui persistent dans l'esprit de l'écologie politique et persévèrent dans la critique du progrès technique ou de l'accumulation sans limites et à tout prix du capital ne sont plus audibles dans les médias généralistes français. L'ascension des thématiques environnementales dans les médias illustre donc les manières dont le champ journalistique peut participer à une construction dépolitisée du monde social. Le traitement médiatique de l'environnement permet ainsi de questionner à nouveaux frais la double dépendance caractéristique du champ journalistique, laquelle permet de comprendre les logiques structurelles qui conforment la plupart des productions symboliques aux attentes tant du marché que du politique. » (p. 65)

2. « Relativement hétérogène, l'expertise climatique se caractérise également en France par la multipositionnalité d'agents qui, à l'instar des médiateurs culturels décrits par l'historien Christophe Charle, agissent comme des "hommes doubles", étant "à la fois les représentants (au sens politique) du social au sein de la sphère culturelle (ici scientifique) vis-à-vis et inversement des représentants de la culture (ou ici de la science) vis-à-vis de la société globale". Les positions qu'ils occupent ont en commun d'être proches des lieux de décision politique, lesquels semblent exercer un véritable pouvoir d'attraction sur certains experts. Cette configuration n'incite donc pas ces derniers à émettre des propositions susceptibles de questionner l'ordre social dans la mesure où, d'une part, cela pourrait se révéler disqualifiant et, d'autre part, ils tirent eux-mêmes des gratifications des structures établies. » (p. 79)

3. « La subordination des institutions en charge de l'environnement à des logiques, des raisonnements et des intérêts marchands contribue à expliquer pourquoi l'action publique amorcée par le Plan climat de 2004 s'appuie principalement sur des dispositifs incitatifs qui, comme l'explique Alain Desrosières lorsqu'il caractérise l’État néolibéral, "sont pensés dans les termes de la théorie microéconomique : comportement de l'agent individuel rationnel, préférence, utilité, optimisation, externalités. Un exemple typique de cette forme de législation fondée sur des justifications issues de la microéconomie est la création d'un marché des droits à polluer, supposé plus efficace que des règlements fixant des seuils de pollution à ne pas dépasser". Ces dispositifs correspondent aux crédits d'impôts, aux prêts à taux zéro, aux bonus-malus et autres mesures visant à infléchir les comportements d'achat des individus et qui forment l'armature centrale de la politique publique française de "lutte contre" les changements climatiques. » (pp. 104-105)

4. « La gestion des risques, notamment par les institutions internationales, ne saurait toutefois garantir une telle politisation comme l'indique en creux le primat accordé, depuis une quinzaine d'années, à la notion de "résilience" sur celle de "vulnérabilité". Cette évolution lexicale illustre comment le questionnement qui, de l'amont des catastrophes, posait le problème de la protection des populations défavorisées par la société, a glissé à l'aval, où la préoccupation dominante est celle des capacités individuelles à se relever. Cette transformation atteste ainsi une orientation idéologique qui impute le malheur des victimes non pas aux caractéristiques de l'organisation sociale, mais à leurs propres défaillances morales. » (p. 148)

5. « Quoique de façon assez schématique, il ressort de ces interprétations que les individus les plus respectueux de la planète seraient ceux dont le mode de vie est structuré par un volume important de capital culturel et un niveau relativement bas de capital économique. Mais, dans la mesure où l'accumulation des ressources culturelles est généralement facilitée par – et orientée vers – un enrichissement matériel, sans doute faut-il se demander avec Grégoire Wallenborn et Joël Dozzi si, "du point de vue environnemental, il ne vaut pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé". » (p. 176)

6. « Alors qu'a l'aube du XXIe siècle les "altermondialistes" donnent de la voix et les commentateurs patentés se gargarisent de l’émergence d'une "société civile" censée limiter l'hégémonie des logiques marchandes, l'accentuation des problèmes écologiques n'a pas suffi à remettre profondément en cause l'emprise du capitalisme sur l'organisation des sociétés. Car ce n'est pas une diversification des cadres de pensée dominants que révèle la médiatisation accrue de la question climatique, mais bien les processus au gré desquels les définitions conformistes des problèmes deviennent les plus récurrentes et les plus accessibles dans les espaces conventionnels du débat public. » (p. 207)

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