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[Le contrat sexuel | Carole Pateman]
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Sexe: Sexe: Masculin
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Posté: Lun 10 Jan 2022 15:17
MessageSujet du message: [Le contrat sexuel | Carole Pateman]
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Dans la pensée politique anglaise, la notion de « patriarcat » est associée au philosophe sir Robert Filmer (1588-1653), auteur de l'essai posthume intitulé : Patriarcha (1680) dans lequel il théorisait que le droit divin du roi ressemblait à la « patria potestat » du père de famille sur ses enfants. Contesté nommément par J.-J. Rousseau et par John Lock, c'est en fait l'ensemble de la pensée politique dite contractualiste des Lumières qui s'est attelé à réfuter Filmer, au nom d'un « contrat originaire » entre hommes libres instituant la société civile à partir d'un hypothétique « état de nature ». Cette pensée est encore opérante dans la devise de la République française : « liberté, égalité, fraternité », et il est évident que le contractualisme politique a le vent en poupe depuis le XVIIe siècle, sans doute de plus en plus avec le néolibéralisme, et que le mythe de l'« état de nature » a été successivement repris, notamment par Freud dans : L'homme Moïse et la religion monothéiste, par Engels dans son récit de la disparition du matriarcat des origines, par Lévi-Strauss dans la théorie de l'alliance exposée dans : Les Structures élémentaires de la parenté.
La thèse aussi ambitieuse que riche de conséquences de cet essai touffu, est que le contractualisme politique entre hommes libres, égaux et frères ne peut cependant « fonctionner » sans une contrepartie toujours dissimulée, ou au moins implicite, à savoir un préalable « contrat sexuel » dans lequel lesdits hommes-frères se sont assuré la subordination voire la sujétion des femmes, leurs épouses, qui ne naissent ni libres, ni leurs égales ni leurs sœurs... Si Hobbes constitue une radicale et cynique exception dans son « état de nature » caractérisé par le viol généralisé des femmes, certains contractualistes postérieurs, comme Lock, Rousseau ou J. S. Mill ne se sortent de cet implicite qu'au prix d'évidentes contradictions ou d'improbables équilibrismes logiques afin de stipuler que les femmes, elles, sont à la fois égales dans l’État contractuel post-« état de nature » et inégales, « par nature », vis-à-vis des hommes...
Qui plus est, les critiques du contractualisme politique, à commencer par Hegel puis surtout le marxisme, ne se libèrent pas non plus des présupposés du « contrat sexuel », autrement dit du « patriarcat », en ignorant les spécificités de la subordination sexuelle féminine qui diffère substantiellement de la subordination prolétarienne. Et le féminisme, de son côté, à partir de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges (1791) jusqu'à Simone de Beauvoir, s'est « trompé de combat » en embrassant bien trop souvent le modèle du contrat social et concrètement en luttant pour tendre vers « l'insignifiance de la différence sexuelle » qui n'a eu d'autre résultat que de perpétuer la domination masculine instituée par voie de contrat ainsi que de créer de nouvelles aires de domination contractuelle dont sont mentionnées ici : le contrat prostitutionnel et en général la mainmise masculine sur l'industrie du sexe (datant du XIXe siècle seulement), l'asymétrie du poids de la l'éducation des enfants en cas de divorce (encore plus récente), et la légalisation (dans certains états des États-Unis et de l'Australie) de la gestation rémunérée pour autrui (GPA – qui est carrément d'actualité).
La plus grande partie de l'exposé consiste donc dans le repérage des implicites du « contrat sexuel » en filigrane de la pensée politique des philosophes politiques contractualistes classiques, ainsi que de leurs détracteurs et des trois épigones que je viens de rappeler, Engels, Freud et Lévi-Strauss, à travers une analyse textuelle très détaillée, mise en parallèle avec un rappel tout aussi méticuleux de l'évolution juridique des « contrats de mariage » et en général de la législation civile du droit de la famille dans trois pays : les États-Unis, la Grande Bretagne et l'Australie, depuis le XVIIe siècle jusqu'à nos jours. S'y ajoutent parfois des mentions à des classiques du féminisme anglo-saxon de naguère, tels : A Vindication of the Rights of Women par Mary Wollstonecraft (1792), Appeal of One Half of the Human Race, Women, Against the Pretensions of the Other Half, Men, to Retain Them in Political, and Thence in Civil and Domestic Slavery par William Thompson (1825) ainsi que : De l'asservissement des femmes (1869) par John Stuart Mill écrit probablement sous la forte influence de son épouse, Herriet Taylor.
Les idées-clefs qui régissent ce « contrat sexuel » jamais exprimé sont d'une part que lorsque la femme est censée prendre part à un contrat avec un homme, notamment dans le contrat de mariage, elle n'est pas un « individu » libre ni un citoyen, et très longtemps elle a été mise sous la tutelle juridique, politique et économique de son époux ; que, d'autre part, du seul fait du sexe féminin, le contrat ne spécifie ni la nature des prestations (contrairement au contrat de travail subordonné, raison pour laquelle l'analogie marxiste perd toute sa pertinence), prestations qui comportent toujours une clause au moins tacite d'obéissance de la femme et ont principalement trait à son propre corps dont elle ne dispose plus et à sa sexualité qu'elle s'aliène, ni la durée de validité – implicitement irrévocable – ni une rémunération hormis une « protection » et un statut d'entretenue. Ces deux dernières caractéristiques du contrat de mariage (irrévocabilité, gratuité) le rendent pratiquement identique au « contrat d'esclavage » : à noter aussi que, jusqu'au XIXe siècle, dans les pays cités, une femme pouvait également être vendue – situation relativement fréquente en cas d'adultère, dans laquelle son amant remboursait ainsi le préjudice économique et moral subi par le mari ! – exactement à l'instar de l'esclave...
Les critiques spécifiques que l'auteure adresse au contrat de prostitution et à celui de GPA, et qui sont assez controversés au sein de la pensée féministe, se fondent sur la conséquence du postulat implicite que l'homme s'octroie un droit sur le corps et la sexualité de la femme, en tant que femme, qui ne peut pas avoir son symétrique dans une société de citoyens naissant libres, égaux et frères s'étant partagé les femmes (éventuellement après le parricide originaire ou pour cause d'alliance).
Les conséquences d'une société civile qui ne serait pas ou plus fondée sur le contractualisme outrancier qui caractérise l'époque contemporaine, hélas, ne sont pas du tout évoquées, sauf que, dans l'excipit, l'auteure ne doute pas que « pour atteindre à la démocratie, au socialisme et à la liberté, il est nécessaire de trouver d'autres voies anti-patriarcales » (p. 302).
Je me permets d'adresser deux critiques, de fond et de forme, à cet essai très stimulant. Dans la plupart de la démonstration, le « contrat sexuel » est confondu avec le « contrat matrimonial » et celui-ci fait l'objet d'une double critique – conformément au « double système », le capitalisme et le patriarcat qui lui ont donné sa forme historique : critique en ce que l'époux s'approprie gratuitement et indéfiniment le travail domestique de l'épouse, et en ce qu'il est aliénant pour la sexualité féminine et pour sa « personnalité » au sens kantien qui implique la citoyenneté, la personnalité juridique et la capacité d'être titulaire de biens et de rapports économiques. Or on constate que, dans les pays considérés, le plus grand assujettissement des femmes, leur mise sous tutelle juridique, économique et politique la plus complète s'est produite vers la moitié du XIXe siècle ; c'est là exactement l'époque de la diffusion maximum du travail domestique rémunéré. Cette circonstance implique deux conséquences : d'une part un probable impact minimum de l'appropriation du travail domestique par le contrat matrimonial, et d'autre part, vu que les bonnes étaient alors majoritairement célibataires, une deuxième dissociation entre conjugalité et travail domestique. C'est plutôt, hélas, lorsque les femmes ont commencé à travailler de façon rémunéré, hors du foyer, et à être donc titulaires de contrats de travail subordonné, qu'a paradoxalement augmenté l'exploitation de leur travail domestique non rémunéré. D'autre part, lorsqu'il est question de l'aliénation sexuelle de l'épouse, dont on conçoit bien que la mainmise réciproque sur la sexualité des époux n'était pas équivalente, absolument aucune mention n'est faite de la filiation qui résulte de cette sexualité. Deuxième critique de fond : un minimum d'honnête réflexion eût dû intervenir pour s'interroger dans quelle mesure le « contrat sexuel » a été ou est un institut grâce auquel le patriarche s'approprie les enfants de son épouse ou bien est-il un institut grâce auquel l'épouse cède ses droits civils en échange de l'entretien matériel et de l'inscription symbolique dans le système social de filiation de SES enfants par leur père ?
Ma critique sur la forme, quant à elle, concerne l'extrême confusion du texte et déstructuration de la démonstration. Les huit chapitres : I. Stipuler un contrat, II. Confusions patriarcales, III. Le contrat, l'individu et l'esclavage, IV. La genèse, les pères et la liberté politique des fils, V. Epouses, esclaves et esclaves salariés, VI. Le féminisme et le contrat de mariage, VII. Qu'est-ce qui cloche dans la prostitution ?, VIII. La fin de l'histoire ? - ne représentent ni un développement argumentatif, ni une chronologie des penseurs politiques contractualistes analysés, ni même l'introduction progressive de notions qui se déploieraient progressivement – comme aurait pu l'être celle de l'« état de nature », du « contrat matrimonial », de la critique marxiste du contrat de travail subordonné, des critiques féministes, etc. ; la seule exception étant celle du chap. spécifiquement consacré à la prostitution et à la GPA. Par conséquent, les répétitions ont été incessantes, notamment par rapport à la question de l'esclavage, et la lecture en a très fortement ressenti. Les formules percutantes qui auraient pu être retenues comme cit. abondent, mais elles sont totalement disséminées hors argumentation démonstrative, qu'il est assez vain de les retenir, tel un florilège décontextualisé ; c'est pourquoi j'ai finalement décidé de m'en abstenir.

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