[A la lumière d’hiver ; [précédé de] Leçons [et de] Chants d’en bas ; [suivi de] Pensées sous les nuages | Philippe Jaccottet]
Leçons des ténèbres.
La dédicace adressée à son beau-père défunt Louis Haesler, imprimeur typographe, figure exemplaire, est un modèle de concision scrupuleuse. Elle s’amplifie dans le poème introductif, bref et intense des « Leçons » : « Autrefois,/moi l’effrayé… A présent, lampe soufflée,/main plus errante, qui tremble,/je recommence lentement dans l’air ». Les vingt-deux poèmes qui composent « Leçons » relatent l’agonie et la mort d’un homme admiré. Les poèmes, lucides et douloureux, transcrivent les paliers successifs jusqu’à la bascule finale. Hébété, le poète athée scrute et dit sans fard son impuissance ontologique et la vacuité de l’existence : « Accoucheuses si calmes, si sévères,/avez-vous entendu le cri/d’une nouvelle vie ?//Moi, je n’ai vu que cire qui perdait sa flamme,/et pas la place entre ces lèvres sèches/pour l’envol d’aucun oiseau ». L’inhumaine mort remet en cause le chant du poète. L’ancienne poésie avec sa métrique, sa prosodie, ses figures de style corsetées ne peut rendre compte de la réalité de la mort. Philippe Jaccottet va emprunter un autre chemin pour, simple passager, approcher l’éphémère et s’effacer encore derrière les voix ténues et les faibles éclats, accueillant et recueillant le souvenir des morts. « Chants d’en bas » (1973) apparaît comme une suite « musicale » de « Leçons » (1966-1967), un livre des morts adressé notamment à sa mère disparue, expurgé de toute emphase, l’indicible cinglant dans l’indéfini du vers. « A la lumière d’hiver » (1974-1976), dispense une luminosité blanche et ténue comme l’écriture poétique captant les souffles passagers, associant les contraires comme dans une pensée chinoise déliée, reconnaissant la faiblesse de la parole mais insistant quand même pour dire encore, malgré tout, quand les mots se dérobent et que la réalité se dévoile : « Et puise dans l’eau invisible/où peut-être encore boivent d’invisibles bêtes/silencieuses, blanches, lentes, au couchant/laper cette lumière qui ne s’éteint pas la nuit/mais seulement se couvre d’ombre, à peine/comme se couvrent les troupeaux d’un manteau de sommeil ». Enfin, dans l’édition Poésie/Gallimard, « Pensées sous les nuages » (1976, 1981-1982) s’agrège aux trois recueils majeurs, tempérant et nuançant la tonalité générale tout en ouvrant un apaisement contrasté puisque les extrémités s’y côtoient, passant de l’enfance à la vieillesse, de la joie aux larmes, de l’été à l’hiver. Le poète, à l’ombre des nuages, tisse ses pensées au fil d’or de l’effroi et de l’allégresse mêlée.
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