« Amoureux de cartes et d’estampes ».
Dans sa déambulation éclatée parmi les îles du sud-ouest de l’Océan Indien (Réunion, Maurice, Seychelles), l’écrivain écossais Kenneth White restitue dans son récit de voyage des fragments de vie collectés au hasard des rencontres, selon une trajectoire aimantée par des centres d’intérêt personnels qui ne sont pas explicités. Le lecteur se trouve donc balloté d’un bout à l’autre de l’île de la Réunion sans fil directeur, au gré des inspirations du voyageur. Finalement, on peut douter de la réalité du voyage tant les sensations ressenties et les paysages traversés sont absents du récit. Pour un poète tel que Kenneth White, ne pas être saisi par le vent et les lumières, la puissance tellurique des volcans et des caldeiras, ne pas être inspiré par les à-pics vertigineux, le mur végétal des forêts primitives, les saveurs et les odeurs de l’île, la vitalité des habitants et les brassages ethniques laisse le lecteur dubitatif. On ne peut pas parcourir la plaine des sables, vaste espace nu que la lumière aurorale incendie, sans être transporté dans un ailleurs quasi surnaturel. Kenneth White écrira trop sobrement qu’il s’agit d’« un désert noir et rouge sombre, avec des dunes rouges et des empilements de roches torturées ». Un géopoéticien béotien pourrait mieux dire. L’auteur accumule surtout la toponymie comme si son voyage n’était qu’une plongée cartographique, la moelle du monde en étant évacuée. A la Réunion, Kenneth White s’intéresse presque exclusivement à un obscur auteur local, Jules Hermann (1845-1924), notable érudit imaginant l’existence de la Lémurie, un continent effondré dans l’Océan Indien. Le lecteur a des difficultés à s’intéresser aux balivernes des vieilles barbes réunies dans un cénacle d’initiés chez un psychanalyste de Saint-Denis qui fleure bon la naphtaline et le roman feuilletonnesque. Fort de ses découvertes vermoulues, Kenneth White s’oriente ensuite vers Maurice mais là encore, l’île est esquivée, tout juste esquissée à travers la visite touristique du Jardin de Pamplemousses. De nouveau, un vieil écrit du XIXe siècle d’un certain Charles Gordon cherchant l’Eden aux Seychelles est déniché par Kenneth White et sert de transition pour amener le lecteur vers l’archipel seychelloise et ses 115 îles. Après les pérégrinations limbiques de la Réunion à Maurice, le voyage va alors pouvoir commencer aux Seychelles. Toutefois, l’auteur tergiverse, farfouille, énumère encore et n’aborde la mer des lumières qu’à la fin de son récit quand il arpente Faraday, ultime îlot avant les abysses.
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