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[Roman russe | Alessandro Barbero]
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Posté: Sam 10 Oct 2020 15:10
MessageSujet du message: [Roman russe | Alessandro Barbero]
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Une heureuse coïncidence a fait que, dans ces jours où s'est ravivé le conflit arméno-azéri du Haut Karabagh, j'ai découvert ce Roman russe d'Alessandro Barbero, historien italien que je ne connaissait que comme ottomaniste. Rappelons aux lecteurs francophones intoxiqués par une couverture médiatique exemplaire dans sa partialité, qu'entre 1988 et 1991 éclata une guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan qui provoqua quelques dizaines de milliers de morts dans chacun des deux camps, environ 200 mille réfugiés arméniens contre quelque 600 mille déplacés azéris – ce conflit étant pourtant qualifié par certains de « nouveau génocide arménien » ; que malgré le cessez-le-feu de mai 1994 instauré par le Groupe de Minsk, de nouvelles violences ont éclaté dans la région sécessionniste du Haut-Karabagh, qui constitue environ 20% du territoire de l'Azerbaïdjan mais est ethniquement habité majoritairement par des Arméniens, notamment en avril 2016 et actuellement encore, au cours desquelles les médias français ne donnent la parole qu'à ces derniers, présentés comme des victimes de l'islamisme radical – ce qui peut suggérer un joli renversement sémantique du concept de « séparatisme »...
Dans ce roman de 1998 (traduit en français en 2002), Barbero réussit une double entreprise assez impressionnante : d'abord de composer une vaste fresque des dernières années de la perestroïka (entre novembre 1987 et février 1991) sous forme d'un pastiche de la grande littérature russe du XIXe siècle – je pense notamment à Gogol – que confirme aussi le sous-titre : « Pour présager les tourments à venir », citation d'un vers d'Ossip Mandelstam ; d'autre part, dans le marasme d'un régime en pleine déliquescence, de se concentrer sur la corruption de la classe politique azerbaïdjanaise, par deux intrigues entremêlées qui s'inspirent du style du roman d'action ou d'espionnage.
En effet, après une série de chapitres qui présentent le cadre de vie d'une multitude de personnages, dont les destins vont tous se croiser et les fils se renouer parfaitement au cours des 500 pages, deux narrations principales s'enchevêtrent : celle de la recherche doctorale d'une jeune historienne, Tania, qui contre vents et marées essaye de retrouver les documents des purges des cadres du Parti à Bakou, en 1949, dont a été victime entre autres son grand-père ; et l'enquête du juge d'instruction Nazar Kallistratovitch Lappa, chargé d'élucider le meurtre du plus haut responsable du culte musulman en Azerbaïdjan. Le lecteur découvre ainsi de la première le rôle de premier plan, en qualité de persécuteur-tortionnaire, de Gaidar (Heydar) Aliyev, qui dirigera son pays de 1993 à 2003 et auquel succédera son fils actuellement au pouvoir, et de la seconde histoire la responsabilité des plus hauts dirigeants du KGB dans toute sorte de trafics et notamment dans celui de la drogue d'Afghanistan échangée contre des armes provenant d'Iran qui allaient servir à armer la guerre au Karabagh. Si la mafia russe est devenue un objet romanesque assez banal après la chute de l'URSS, les intrigues de ce roman, mêlées au foisonnement de détails de la vie quotidienne d'une multitude de personnages secondaires, à la géographie urbaine de Moscou, à une attention alerte aux débats intellectuels du moment, à l'actualité de ces années-là avec les incertitudes psychologiques de la population, ne constituent sans doute même pas l'ingrédient principal de la fresque, elles servent principalement à entretenir le suspense.
Le style peut parfois être déroutant, par exemple lorsque le narrateur alterne sa position descriptive avec des interpellations au lecteur ou bien aux personnages, et tout cela avec une grande parcimonie dans la ponctuation. Il est surprenant enfin que le volume ne se termine pas par la conclusion de l'une ni de l'autre narration principale, mais par ce qui s'apparente au constat que le temps les a rendues caduques toutes les deux.
Pour en revenir à notre actualité, le lobby arménien ne se sentira pas menacé par ce roman : le KGB azerbaïdjanais et ses autres dirigeants de l'époque en ressortent unilatéralement salis, et rien n'est dit sur le leadership de la république voisine, dont n'est mentionné au passage que le terrible séisme dont elle fut frappée à cette époque.



Cit. :

« Excusez-moi ! Nous autres, Russes, nous sommes incapables de perdre cette habitude d'appeler Dieu à la rescousse tous les trois mots. Mais ça ne veut rien dire. Tenez, par exemple, ceux qui, chez nous, à la belle époque, avaient la chance de lire les journaux occidentaux, se rappellent encore la panique et la consternation que provoqua le vieux Gorby lorsque, au milieu d'un discours à l'étranger, devant un quelconque Mitterrand, en tout cas un politicien de là-bas, il laissa échapper un "grâce à Dieu" ! Et tout le monde, en Occident, de raisonner : c'est un signal d'ouverture, c'est clair, mais adressé à qui, bien malin qui peut le dire ! Pour les uns, c'était une façon de se concilier le pape, pour les autres, au contraire, il visait les Iraniens... Bon, évidemment, il faut bien que les kremlinologues mangent ; la vie n'est pas facile, sous le capitalisme, si tu ne produis rien, on te jette à la rue comme si tu n'étais rien, mais si tu produis de la merde, il se trouve toujours quelqu'un pour te l'acheter. » (p. 356)

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