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[le mari de la guenon | John Collier]
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Posté: Lun 13 Avr 2020 21:12
MessageSujet du message: [le mari de la guenon | John Collier]
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John Collier a été un maître de l'humour noir, principalement un nouvelliste. Cet étrange roman de la fin des années 1920 tient du pastiche satirique et du conte moral du XVIIIe s.. Mais il faudra se questionner sur les niveaux narratifs auxquels s'applique l'humour, faute de quoi l'on risque d'éprouver une certaine perplexité. J'ai adhéré à l'esprit de l'auteur et mon rire a donc été franc, mais je peut concevoir une réaction opposée, textuellement presque aussi justifiée, qui rendrait la lecture choquante.
Niveau de la trame : M. Fatigay, jeune Anglais instituteur dans un village reculé du Congo, acquiert contre une paire de défenses d'éléphant un chimpanzé femelle, Émilie, dont il devine plus qu'il ne comprend qu'elle possède, à défaut de la parole, une intelligence suffisante à le comprendre. La guenon, en réalité supérieurement intelligente et bientôt fine lettrée, est amoureuse de lui, alors qu'il aime éperdument Amy, restée en Angleterre, où il s'empresse de retourner pour l'épouser. Mais autant Émilie est un modèle de vertu, de soumission, d'abnégation, de finesse, autant Amy est intrigante, dépourvue de sentiments, mondaine et surtout éprise du goût « moderne » de l'indépendance... Laquelle fera la bonne épouse : la femme précieuse ou la guenon amoureuse ?
Niveau du rire jaune : satire des mœurs sociales et matrimoniales de ce début du XXe siècle londonien, qui s'empresse de sortir du puritanisme mais dans lequel l'ambition d'émancipation féminine est tournée en dérision. Quelle que soit la médiocrité de l'homme, la femme sortant de son rôle traditionnel est représentée sous les gros traits d'une harpie et même le singe savant, dans sa suprême perspicacité, comprend les avantages que son sexe retire du silence, des révérences, de la modestie en parasol et chapeau à voilette :

« - Voyons, voyons, Émilie ! Si tu deviens aussi intelligente que cela, il faudra que je te vende pour qu'on t'exhibe dans un cirque !
Et aussitôt la guenon terrifiée avait abandonné les attributs de la cléricature et elle était allée, tremblante, ramper jusqu'à son ancienne place, sa place de sujétion. Ah, comme tous ces épisodes lui revinrent à la mémoire plus tard, quand elle apprit que l'on avait refusé un jour à Madame Virginia Woolf l'entrée d'une bibliothèque universitaire ! Dès cet instant-là elle ne laissa plus jamais entrevoir qu'elle possédait une intelligence beaucoup plu grande que celle qu'on lui supposait. » (pp. 24-25)
En fin de compte, la réponse à la question du choix d'Alfred Fatigay n'est-elle pas connue d'avance ? Et celui-ci de clamer dans les dernières pages :

« […] Il se peut que derrière tout grand homme il y ait une femme, et que sous chaque puce apprivoisée il y ait une assiette chaude, mais à côté du seul homme heureux que je connaisse se trouve un chimpanzé. » (p. 320)

Mais passons au niveau supérieur. Il est assez évident, à commencer par les vers en italiques qui ouvrent chaque chapitre et aux nombreuses citations dans le texte, que le récit emprunte un style qui tourne en dérision une certaine poésie romantique et surtout le roman d'amour du XIXe s. ; parfois des poètes – Lord Tennyson, W. B. Yeats – et des auteurs – Thomas De Quincey, Poe – sont nommément cités, mais partout ailleurs l'emprunt est apparent. Dès lors, comment ne pas songer que c'est surtout la misogynie et toutes les autres mièvreries d'une telle littérature, parfois ridicule et désuète, qui produisent l'effet comique de cet ouvrage, écrit à un moment où la crise économique n'offrait guère de chance au rire ? La fortune littéraire, pour cette même raison, ne lui sourit pas non plus.


Cit. :


« On dit parfois que le sentier de l'amour est sinueux mais en tout cas la route de l'amour déçu est droite comme une route romaine. À l'instant d'une désillusion, c'est un brasier incandescent qui couve à la place du cœur, et la victime s'élance en avant sans prendre garde aux obstacles, emportant avec elle, comme une vache qui a une épine sous la queue, le fiel qui l'empoisonne et auquel elle croit échapper par cette fuite insensée.
Quand la poésie nous aura complètement civilisés et nous aura jetés comme par accident dans ce paradis où la vision réelle et la vision choisie ne feront qu'une, où la peine et le plaisir ne seront plus séparés arbitrairement par la superstition comme le furent un jour le bien et le mal, nous trouverons alors dans cette ardente poursuite de la délivrance un plaisir plus vif que n'est maintenant le plaisir associé à l'amour heureux. » (p. 47)

« Ô combien il est admirable, pensait-elle en sautillant avec une exactitude affectée, d'une position extravagante à une autre, que cette vague d'humour quintessencié, exprimé par un symbole presque dénué de sens, en arrive à pénétrer différemment chaque mentalité ! Et comme une aiguille de radium, elle désintègre chacun de ces agglomérats cancéreux que forment les expériences, pour les transformer en rire divin, en chaos vierge.
« L'un – songeait-elle encore, tout en évoluant sur un pied avec l'air de faire un effort consciencieux –, l'un pensera à sa carrière, l'autre peut-être à son amour ou à son dieu. Le rire et la jeune beauté vont se fondre pour créer la seule eau régale qui puisse dissoudre ces illusions dorées.
[…]
« Que Dieu bénisse mon cher M. Fatigay, murmurait-elle essayant avec difficulté des jetés-battus, pour m'avoir dégagée ainsi de mon romantisme de quatre sous, si dénué d'art que si j'avais été attifée selon mon idée première, je me serais tout u plus reflétée, brillamment peut-être, dans la conscience superficielle de mes spectateurs ; tandis que maintenant je brise en éclats cette première conscience, je projette une lumière claire et amère sur les profondeurs obscures qui gisent au-dessous. Comme ils vont m'aimer tous ! » (pp. 84-85)

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