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[Les quinze joies du mariage | Anonyme]
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apo



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Posté: Dim 04 Fév 2018 10:54
MessageSujet du message: [Les quinze joies du mariage | Anonyme]
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[Prologue. L'une des caractéristiques de ce qu'on appelle les classiques, surtout anciens, c'est d'être accompagnés d'un appareil critique aussi surdimensionné qu'érudit. Je ferais bien de m'en tenir à un aphorisme que j'avais lu il y a plusieurs décennies et que je cite donc très approximativement, de mémoire : « La préface est ce qui est écrit après le texte, imprimé avant, et ne devrait être lu ni avant ni après ». Je tombe pourtant toujours dans le piège, je lis, me sens passablement ignare et cependant je me trouve en désaccord avec beaucoup... À bon entendeur, salut !]

Voici une satire misogyne qui date sans doute de la première moitié du XVe siècle, impossible à attribuer. Ce n'est pas un recueil de quinze nouvelles ; en effet, tout semble indiquer que les personnages principaux, le mari et la femme, sont uns, sinon identiques, des variantes d'eux-mêmes, ainsi qu'unique est leur identification sociologique : la maison est dotée de plusieurs domestiques, le mari n'a d'autre occupation que la gestion de son patrimoine et propriétés même éloignées de son domicile, il est un gentilhomme qui peut être appelé à guerroyer occasionnellement, il est caractérisé par la mansuétude et l'effacement ; la dame reçoit beaucoup, chez elle la « viande » (= nourriture) et le vin abondent, sauf pour le mari et ses invités, elle est passionnée de toilettes à la mode et de parures de joyaux à exhiber à l'église et aux nombreuses « festes », elle est souvent bien plus jeune et issue d'une famille de rang plus élevé que son mari, elle voyage beaucoup sous forme de pèlerinage – toute occasion étant bonne pour ces vacances en famille élargie... –, dans son langage Dieu, les serments et naturellement les parjures tiennent lieu de prise de souffle, et surtout elle n'a de trêve d'ourdir des machinations afin de consommer l'adultère. Présence obsessionnelle des amants.
Hormis dans les premiers chapitres, le récit n'est cependant pas construit selon une progression chronologique systématique. À ce sujet, je voudrais donc faire usage d'une métaphore musicale, et appeler ce recueil une « Suite de variations » sur un thème : la métaphore du mariage conçu comme une nasse, à l'intérieur de laquelle les hommes-poissons, après y avoir nagé autour, s'efforcent de se laissent emprisonner, et se persuadent, faute d'en pouvoir sortir, que leur situation est enviable, alors qu'ils vivront au moins certaines d' « ycelles joyes » dans cette captivité où ils « demourront tousjours et finirons miserablement leurs jours » : excipit de chaque chapitre.
La satire se base donc sur l'antiphrase, et ce à différents niveaux : par « joye » (l'intitulé de chaque chapitre), il faut comprendre « malheur » du mari, par apologie des femmes – auxquelles l'ouvrage est dédié – l'éloge de leur perfidie, et surtout, du point de vue stylistique-littéraire, je suppose que l'ouvrage tourne parfaitement en dérision le genre nommé Exemplum, qui avait une vocation moralisatrice : pourtant il ne s'agit pas que de contre-exemples ou de subversion de la morale du mariage, contrairement à ce que l'on a pu doctement suggérer, pas plus que le récit ne vise à l'exhaustivité par rapport au sujet traité : il s'agit juste de faire rire, avec intelligence. D'où la question de savoir s'il est ironique, ou parodique, ou satirique ou polémique paraît complètement oiseuse, car l'effet demeure : les siècles ne l'ont en rien diminué. J'en retiens au contraire, outre la jubilation, la certitude que les clichés misogynes sont bien demeurés inchangés, que les mêmes procédés stylistiques produisent les mêmes effets comiques, que les modes de vie (d'une certaine classe sociale) n'ont au fond pas tellement changé (sauf qu'en moyenne on travaillait moins et s'esbatoit plus !)...

La traduction en français moderne est à front du texte d'origine, par ailleurs presque toujours transparent. Ainsi, j'ai pu constater que les problèmes (ou les défauts) de la traduction franco-française sont identiques à ceux qu'on essaie d'éviter, à grand peine, depuis les autres langues : trop de mots, trop d'explications, un souci d'explicitation qui, en ôtant les aspérités et diluant ce qui était concis à l'extrême, mène à la platitude. On trouve aussi, inversement, des cas de surclassement du registre linguistique, ou de rajouts d'expressions proverbiales (modernes donc anachroniques). Dans tous les cas, le rythme change, la mélodie devient tube.


Les quatre cit. qui suivent ont ainsi été choisies autant pour leur goût intrinsèque que pour exemplifier ces problèmes traductologiques :

« […] et à l'aventure qui ne les tiendroit joliement, elles trouveroient manière d'avoir leurs jolivetez, dont je me tais.

Même s'il arrivait qu'il ne leur offre pas de belles toilettes, elles trouveraient le moyen de se procurer de quoi être coquettes – point sur lequel je préfère me taire... » (pp. 112-113)


« Et quant viendra au soir, que le bon homme son mary est couché, et se veult esbatre avecque elle, à qui il souvient bien de son amy, quelle doit veoir demain à certaine heure, trouve manière de s'en eschapper, et n'y touchera jà, et dit qu'elle est malade ; car el ne prise rien son fait, pour ce que c'est trop peu de chose au regard de son amy, qu'y a huyt jours ou plus que elle ne vit, et viendra demain tout affamé et enragé […]

Et quand la nuit sera tombée, que son brave homme de mari sera couché et qu'il voudra se donner du bon temps avec sa femme qui ne pense qu'à l'amant qu'elle doit voir le lendemain à l'heure dite, elle trouvera un moyen de se refuser à lui, prétextant qu'elle est malade afin qu'il ne la touche pas ; car elle n'apprécie guère ce que lui fait son mari en comparaison de tout ce que lui prodigue son amant qu'elle n'a pas vu depuis huit jours au moins et qui viendra le lendemain, brûlant de désir et la fièvre au corps [...] » (pp. 131-133)


« Et quant est de la paine de l'engroisse ou de l'enfantement, je ne m'en merveille nyent plus que d'une geline ou d'une oaye, qui met hors un grous euf comme le poing, par ung pertuis où paravant vous n'eussés pas mis ung petit doy. Et si est aussi grant chouse à nature de faire l'un comme l'autre : et si verrez une geline se tenir plus grasse en ponnant chacun jour, que ne fait ung coq ; car le coq est si beste qu'il ne fait à journée que li querre vitaille et la luy bailler ou bec, et la geline ne s'esmoye que de menger et de caqueter, et se tenir bien aise. Ainsi le font les bons proudes hommes mariez, qui en sont bien à louer. Après avient que le bon homme est bien escuré et detiré, qui tousjours a peine et soussy et travail [...]

En ce qui concerne les souffrances de la grossesse ou de l'enfantement, cela ne me surprend pas plus que pour une poule ou une oie qui expulse un gros œuf de la taille d'un poing par un trou où, auparavant, vous n'auriez même pas glissé un petit doigt. C'est donc là une chose aussi incroyable que réalise la nature pour les unes comme pour les autres. Vous verrez de même une poule être plus grasse que le coq alors qu'elle pond chaque jour ; car le coq est si bête qu'il passe sa journée à aller lui chercher de la nourriture et à la lui mettre au bec, la poule ne se préoccupant que de manger, de caqueter et de se la couler douce. Les bons et braves maris font de même et méritent bien des louanges. C'est pourquoi le pauvre bougre en est accablé et usé jusqu'à la corde, lui qui se donne toujours beaucoup de mal, bien de la peine [...] » (pp. 190-191)


« Si s'en va hastivement tout forcené, et entre en la chambre où ilz sont, et les trouve ensemble, ou bien près. Si cuide tenir le pouvre compaignon adventureux, lequel est tout jugié, et si sourprins qu'il n'a povoir de rien dire ni de soy deffendre. Et ainsi qu'il le veult ferir, la dame, pour pitié de pouvre homme, et pour fère son devoir (car elle doit tousjours garder de faire murtres), vient embracer son mary en lui disant : "Ha a ! pour Dieu, monseigneur, gardez vous de faire ung mauvès coup !"

Il s'en vient alors à la hâte, tel un forcené, et pénètre dans la chambre où se trouvent les amants qu'il surprend ensemble – ou pas loin. Il pense tenir le pauvre bougre bien téméraire qui, pris en flagrant délit, est si surpris qu'il ne trouve rien à dire pour sa défense. Mais, alors que le mari est sur le point de le frapper, la dame, qui a pitié du pauvre garçon et afin d'accomplir son devoir (car elle doit veiller sans faute à ce qu'un meurtre ne soit pas commis), vient embrasser son mari en lui disant : "Ah ! Ah ! Monseigneur, pour l'amour de Dieu, prenez garde à ne pas commettre de folie !" » (p. 307-309)

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