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    Répondre au sujet L'agora des livres Index du Forum » Littérature générale    
[Mohamed, Mahmed, Mahmich | Tchinguiz Gousseïnov]
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apo



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Messages: 1965
Localisation: Ile-de-France
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Posté: Sam 01 Juil 2017 18:40
MessageSujet du message: [Mohamed, Mahmed, Mahmich | Tchinguiz Gousseïnov]
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L'Azerbaïdjan est un pays auquel je me suis intéressé longtemps, sous plusieurs angles et pour plusieurs raisons, mais dont la littérature outrepasse très difficilement ses frontières. Trouver chez un bouquiniste ce roman, même daté (1983), même paru chez un éditeur inconnu, même publié à l'origine en russe en non en azéri (que l'on appelait alors azerbaïdjanais...) a constitué pour moi une motivation suffisante à m'y pencher ; de surcroît, la quatrième de couverture est plutôt attrayante.

Néanmoins, dès l'incipit, cette motivation a défailli, et ensuite, la première véritable action se développant seulement autour de la p. 60, elle s'est maintenue claudicante jusqu'au crescendo final des 50 dernières pages. Le style, très avant-gardiste, m'a rendu l'accès au récit laborieux, pénible, désagréable. Il faut dire qu'il était quelque peu anticipé par le sous-titre :

« roman avec rêves et interprétation
symboles naïfs, grotesque merveilleux
digressions sentimentales
épilogue ressemblant au prologue

dans la propre traduction de l'auteur
de sa langue maternelle l'azerbaïdjanais
dans sa langue maternelle le russe ».

La narration se déroule donc par fragments de longueurs variables qui se succèdent avec des personnages s'alternant, avec des allers-retours dans le temps, sans unité de lieu jusqu'à l'essor de l'action, et surtout sans solution de continuité, comme s'il s'agissait d'un flux de conscience du narrateur, qui surplombe mais par moments s'adresse aux personnages et une fois ou deux directement au lecteur. La typographie, plutôt expérimentale aussi, semble faite exprès pour brouiller les repères du lecteur : les chapitres se succèdent sans interruption de page, à peine un saut de paragraphe ; les paragraphes sont d'ailleurs séparés arbitrairement (ou bien n'en ai-je pas compris la logique?), sans lien avec les coupures de temps ni de récit ; certaines parties du texte, sans ajout de ponctuation ni de majuscule, sont écrites en fort retrait (un tiers de ligne), et il m'a fallu un certain temps pour comprendre qu'il s'agissait là d'hypothèses de déroulements ou de dialogues alternatifs au récit principal (par ex. propos non prononcés) – ce qui est surtout évident dans la conclusion, de sorte que l'on peut parler de roman à deux chutes contraires ; une nouvelle phrase (après un point) n'est pas systématiquement indiquée par une lettre majuscule : par conséquent la phrase introduite par la majuscule a une valeur différente des autres ; les tirets des discours directs sont assez rarement accompagnés de l'indication de quel est le locuteur... (Enfin, mais là est un autre problème, le texte comporte au moins sept ou huit erreurs de grammaire, auxquelles je suis toujours intolérant dans un livre imprimé.)
En somme, il faut que le lecteur se résigne à une compréhension très progressive et sans doute très incomplète du texte, qu'il se fie à sa mémoire notamment pour se rappeler l'identité de chaque personnage, sans le recours de pouvoir revenir en arrière.

L'histoire tourne autour du despotisme du chef d'une fratrie, Hassaï Bakhtiarov [« bahtiyar » signifie « fortuné » en turc], qui s'est conquis une place de notable dans l'organisation économique communiste – il dirige le réseau des transports publics de la ville de Bakou – et dont le règne patriarcal se manifeste notamment par la séduction d'une seconde épouse, Réna, qui avait été convoitée par son propre fils et son neveu, le protagoniste éponyme du roman. Mais déjà avant ce concubinage (la bigamie étant interdite dans la société nouvelle), il était évident que les prérogatives de ce mâle dominant incluaient tout naturellement d'unir et désunir les couples des frères et sœurs, en fonction de ses propres stratégies d'alliances, au prix de l'ostracisme des récalcitrants, comme Toukezban, la mère de Mahmich. L'extension de cette domination coûte plusieurs vies dans le récit.
Une sorte de contrepartie à ce despotisme traditionnel semble se présenter grâce à la société communiste : les femmes disposent de certaines marques d'émancipation (symbolisée par une statue de la Femme Emancipée) – voire de désinvolture, dans le cas de Réna – et le pouvoir politique, incarné par Djafar, par Amiraslan, par le policier Sattar et surtout par les camarades de la plate-forme pétrolière de Mahmich, tous des prolétaires comme lui, se posent en contre-pouvoir, prenant ses défenses et luttant contre les pratiques de corruption en vigueur. Mais il faut bien reconnaître que, quelle que soit la conclusion de l'histoire que l'on choisit, la modernité ne triomphe pas : les femmes gardent les stigmates de leurs comportements ambigus, et la société ne vainc pas face au clan. Ce qui est franchement hardi pour un ouvrage écrit en époque brejnévienne.

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Swann




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Posté: Dim 02 Juil 2017 8:33
MessageSujet du message:
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J'admire ta résolution de tenir jusqu'aux dernières pages, malgré tant d'embûches. Il m'arrive moi-même de patauger l'âme ferme et constante dans de l'avant-gardisme, mais c'est un voyage qui donne autant de fierté que d'amertume, pour moi.
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apo



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Âge: 52 Poissons


Posté: Mar 04 Juil 2017 9:46
MessageSujet du message:
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Bonjour l'amie,
tu énonces très précisément mes sentiments en cours de lecture...
En y songeant ensuite, je suis parvenu à l'hypothèse qu'il faille chercher la raison d'une telle prose dans les status respectifs d'un intellectuel-écrivain azéri et russe, à une époque où le nationalisme azéri aurait été encore inacceptable (et la guerre ne s'était pas encore déclarée contre l'Arménie soutenue par la Russie, grande soeur orthodoxe). Aujourd'hui, les Azéris souffrent de complexes très analogues vis-à-vis de la culture de Turquie ; leur langue elle-même est traitée avec la même condescendance (dérision ?) que le français du Québec ou du Sénégal...
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