Ainielle, un village imaginaire aragonais, perché dans la montagne pyrénéenne, meurt du départ sans retour de ses habitants tentés par une vie meilleure ailleurs. Andrés de Casa Sosas, le dernier homme du village, sait que ses jours sont comptés. Sa solitude est tangible dix ans après le suicide de sa femme Sabina, percluse de chagrin. Seule sa fidèle chienne lui emboite encore le pas. Les maisons inhabitées finissent par s’écrouler selon l’ordre chronologique de leur abandon. Il aura fallu cent ans pour les construire et quatre ans suffiront à les anéantir, les réduisant en un tas informe dissimulé sous les orties. Avec la mort de l’ultime habitant, la mémoire disparaîtra, ensevelissant le passé sous une chape d’oubli et d’indifférence.
Il n’existe aucune échappatoire dans le récit de Julio Llamazares. Le lecteur peut se demander comment et pourquoi un auteur de 33 ans arrive à se glisser dans l’esprit d’un agonisant. Le seul bémol à cette élégie tient au style. Bien que simples, les mots coulent avec aisance et construisent un discours juste, profond mais en porte-à-faux avec la pensée d’un villageois plus habitué à poser des collets qu’à discourir sur le temps et la mort. La symbolique du jaune empèse un peu le récit. Hormis cela, l’auteur espagnol sait construire son histoire et l’émailler d’évènements surprenants aptes à retenir l’attention du lecteur. Llamazares est un styliste et un poète. Il s’est contenu pour crédibiliser le ressassement d’Andrés mais parfois la beauté d’une métaphore filée embrase le roman : « Le flux du temps est pareil au cours de la rivière : mélancolique et trompeur au début, il court après lui-même à mesure que fuient les années. Comme elle, il s’enroule autour des ulves tendres et de la mousse de l’enfance. Comme elle, il se jette dans les défilés et les précipices qui marquent le début de son accélération. Jusqu’à vingt ou trente ans, on croit que le temps est un fleuve infini, une substance étrange qui s’alimente d’elle-même et ne se consume jamais. Mais il arrive un moment où l’homme découvre la trahison des ans. […] Les jours et les années commencent à raccourcir et le temps devient une vapeur éphémère […] Et ainsi, quand nous voulons réaliser, il est trop tard déjà, même pour tenter de se révolter ».
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