Je me méfie des récits dont le narrateur est un enfant. Je trouve qu'assez souvent, le ton n'y est pas juste, et que ce subterfuge, qui permet à un écrivain, en utilisant l'ingénuité du regard enfantin, de porter sur le monde un jugement à la fois lucide et interrogateur, finit dans bien des cas par ne plus avoir aucun sens, la parole donnée au narrateur se transformant soit en niaiseries, soit en l'affirmation de points de vue où l'on reconnaît sans peine le raisonnement bien adulte de l'auteur...
Avant de lire "La vie devant soi", j'étais par conséquent un peu sceptique, d'autant plus que le thème abordé (la relation entre une vieille dame juive et un enfant arabe) me semblait lui aussi plutôt casse-gueule !
Vous me direz que Romain Gary n'est pas n'importe qui, et vous aurez sans doute raison, sauf que le seul ouvrage que j'avais lu de cet auteur (son recueil de nouvelles "Une page d'histoire") m'avait laissé un sentiment mitigé...
Vous me direz alors que "La vie devant soi" a tout de même obtenu le Goncourt en 1975, et que ce n'est pas rien, sauf que mes expériences avec les lauréats de ce prix n'ont pas toujours été concluantes (j'ai notamment détesté "Trois jours chez ma mère", de Weyergans, et "Confidence pour confidence" de Paule Constant, m'est tombé de mains...), et que, par conséquent, je ne considère pas que ce soit une référence fiable à 100%...
A l'issue de cette lecture, me voilà finalement et triplement réconciliée avec Romain Gary, le prix Goncourt, et les enfants-narrateurs !
En l'occurrence, l'enfant, c'est Momo, fils de pute (ce n'est pas moi qui le dit, c'est lui !) placé dans le "clandé" de Mme Rosa, elle-même ancienne prostituée qui s'est reconvertie dans l'accueil des enfants dont les mères, qui se "défendent" sur le trottoir, n'ont pas la possibilité de s'occuper de leurs rejetons. Momo a dix ans, n'a jamais connu ses parents, et il vit en permanence chez Mme Rosa, en compagnie de Moïse, de Banania, et d'autres, qui sont de passage pour de plus ou moins longues durées. Tout ce petit monde cohabite au sixième étage d'un appartement de Belleville. Mme Rosa, vieille et obèse, a de plus en plus de mal à monter les escaliers qui y mènent et Momo est inquiet de constater que l'état de santé de celle qu'il aime avec toute sa fougue d'enfant se dégrade très rapidement.
La relation entre le petit garçon et la vieille femme est très émouvante. Même si certaines choses semblent parfois très mystérieuses aux yeux de Momo (il ne comprend pas pourquoi, certaines nuits, Mme Rosa descend à la cave, après s'être réveillée en hurlant, par exemple), il aime sa protectrice telle qu'elle est, grosse, laide, et malade.
Le "petit peuple" qui orbite autour des personnages principaux, constitué pour la plupart d'immigrés, de clandestins et de miséreux, apporte au récit une note haute en couleurs, malgré la détresse qui en sourd aussi parfois.
Les interprétations de Momo relatives au comportement, aux paroles des adultes, ainsi que ses retranscriptions de leurs paroles, donnent au roman un style enlevé, drôle et dans l'ensemble très juste, l'auteur ne tombant pas dans le piège évoqué plus haut, et qui consisterait à exagérer la maturité de son héros.
De plus, il utilise intelligemment le fait qu'il soit un enfant pour mettre l'accent sur les aberrations d'un système défini par des règles parfois trop rigides, sur l'absurdité des conduites motivées par l'intolérance et la sottise, et sur l'omniprésence de l'injustice, dont Momo constate les manifestations autour de lui.
Il se dégage de "La vie devant soi" beaucoup d'humanité et d'amour.
Le vocabulaire, les expressions utilisés par Momo, sont autant d'occasions de sourire, voire de rire, et d'appréhender le monde à travers un voile d'innocence et de sincérité. Et même si parfois le récit est à la limite de verser dans l'étalage de bons sentiments, le ton de l'ensemble fait rapidement oublier ce petit travers.
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