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[S'ennuyer, quel bonheur ! | Patrick Lemoine]
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apo



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Posté: Mar 14 Sep 2010 19:28
MessageSujet du message: [S'ennuyer, quel bonheur ! | Patrick Lemoine]
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Au début, il est un double.
"[...] il existe deux formes d'ennui : le normal, celui que j'affirme souhaitable pour ne pas dire indispensable à tout individu et donc à toute création, qu'elle soit politique, artistique ou scientifique, et l'ennui pathologique, symptôme douloureux d'un grand nombre de maladies psychiatriques. [...] Je plaide pour le premier et, durant mon existence de psychiatre, j'ai combattu le second." (p. 13)

Ou alors : au début, il est la Bible, avec son histoire d'Abel, le "glandeur" qui s'embêtait ferme, occis par l'activiste cultivateur Caïn. L'on peut voir dans les deux frères les deux stades successifs du développement de l'individu - de l'enfance à l'âge adulte - (p. 26) ; ou alors la querelle entre les deux écoles psychothérapeutiques cis- et transatlantiques : le cognitivo-comportementaliste Caïn versus le psychanalyste méditatif Abel (p. 178).

Ou encore : au début, il est une filiation étymologique, apparue au XIIe s., non sans relation avec les croisades et liée à l'amour courtois. Entre le terme d'acédie (j'adore) et celui d'ennui - "être pour soi-même un objet de haine" (p. 53).

Ou en outre : au début, il est une fratrie comprenant aussi la paresse, l'oisiveté, la mélancolie - "véritable engouement de la Renaissance" (p. 35) qui se décline en mélancolie catholique d'Albrecht Dürer (Melencolia I) versus mélancolie protestante de Lucas Cranach (qui en a peint quatre).

Ou plutôt : au début, en zoologie, il semblait ne pas y avoir d'ennui chez l'animal, mais ensuite Konrad Lorentz parla de l'"arousal", "le besoin impérieux et quasi automatique d'effectuer des actions, parfois des mouvements particuliers" (p. 71) qui, si contrarié, notamment par la captivité, provoque des stéréotypies parfois auto-mutilantes (balancement de la tête et du corps, léchage ou grattage jusqu'à la perte du poil ou le saignement, etc. - presque comme certains autistes) surtout chez les animaux les plus sociaux. Irons-nous jusqu'à faire le parallèle avec le peu de créativité (sauf rares exceptions) qu'engendre l'ennui de l'homme contraint (reclus) dans ses institutions totales - prisons, écoles, casernes, etc. - ? voire pousserons-nous notre audace jusqu'à nous demander : "L'homme moderne, à la fois sociable et confiné, s'ennuierait-il pour les mêmes raisons ?" (p. 78)

Ou bientôt : en glissant progressivement vers la physiologie et la pathologie de l'ennui, il est dans le différentiel de la température corporelle entre jour et nuit une explication de la plus grande fragilité et prédisposition féminine que masculine à l'ennui (mais aussi de la plus efficace production socio-culturelle d'antidotes de la part des dames) ; l'on trouvera aussi une explication de la symptomatologie saisonnière de l'ennui grâce à "Lucy et ses copines, s'[étant] redressées pour gambader il y a quelques millions d'années sous les cieux [...]" d'Afrique équatoriale et tropicale. (p. 114)

Ou enfin, après avoir compris que le bâillement est un antidote et non un emblème de l'ennui, après une psychologie (banale et par trop quantitative), puis une psychanalyse, puis une clinique le mettant en relation avec la dépression, mais réfutant son analogie avec les TOC, les anxiétés, les psychoses hallucinatoires, les schizophrénies, les toxicomanies, l'anorexie et la maladie d'Alzheimer (p. 147) - ouuf ! ça me rassure ! - l'on comprend, avec Heidegger, Jankélévitch et la poétique masochiste d'Emile Cioran - que l'ennui n'est qu'une question de perception du Temps. Un temps qui devient morcelé, fragmenté, séquentiel, gluant, interminable...

Et dans tout cela, l'apologie de l'ennui alors ? Oh, j'allais presque l'oublier... Et pourtant elle était là, dès le début : elle est le double, ennemi de l'hyperactivisme, critique du "monde contemporain abruti par le pain (des allocations) et des jeux (de la télévision)" (p. 182) ; condition nécessaire de la création pour les romantiques, elle est "l'attitude de Baudelaire, qui tout au long de son oeuvre a fait de l'ennui [...] son principal fonds de commerce [...]" (p. 161)...

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