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[Le chômage créateur | Ivan Illich]
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apo



Sexe: Sexe: Masculin
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Posté: Sam 07 Aoû 2010 8:20
MessageSujet du message: [Le chômage créateur | Ivan Illich]
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(lecture due à l'ami Laudateur, dont hélas je n'ai pas partagé l'enthousiasme)
N'attendez pas de ce court essai qu'il traite du chômage (créateur) ni d'un "droit au chômage créateur" hormis en quelques pages (74-78).
L'introduction - qui au demeurant ne manque pas de charme - a trait au pourcentage des messages (écrits, oraux, visuels, auditifs, etc.), parmi ceux auxquels chacun d'entre nous est exposé, qui sont proférés directement à notre intention, par rapport aux autres, bruit assourdissant destiné à la foule indifférenciée. L'évolution historique de ce pourcentage est claire. De là à constater que les contenus essentiels de ces messages - publicitaires ou tout autres confondus - sont principalement de nature suggestive de besoins et des moyens de les assouvir, le pas est court : il n'est pas démontré mais son énonciation est suffisamment convaincante.
Que cette hypertrophie de besoins induits produise une suprématie du marché des biens matériels et que celle-ci soit appauvrissante et mutilante d'une situation d'autosuffisance préalable, c'est un exposé précoce des théories de la décroissance : précoce, mais quand même dans l'air du temps (mi-1970, premières crises pétrolières, prévisions apocalyptiques du Club de Rome...)
Un point théorique très intéressant est la distinction entre "valeurs d'échange" (quantifiables en termes monétaires, car la monnaie est l'unité des échanges) et "valeurs d'usage" qui ne sont pas monétisables ; or :
"Les valeurs d'échange ne peuvent remplacer les valeurs d'usage de façon satisfaisante que jusqu'à un certain point. Au-delà de ce point, toute production supplémentaire ne bénéficie plus qu'au producteur professionnel, alors qu'elle désoriente et ahurit le consommateur en assouvissant chez lui un besoin que le premier lui a imputé." (p. 64)
Mais Illich pousse l'analogie au-delà des biens matériels, vers la production de services, et en particulier vers les "besoins induits" des/par les professions libérales. Son point de critique est double : 1. il déplore une tendance à l'établissement et à la légitimation d'un corporatisme des professions (libérales) à l'encontre d'une pratique moins professionnaliste mais plus diffuse ; 2. il qualifie de "domination" - et s'en prend particulièrement à la médecine et à l'instruction - leur développement de masse qui transformerait une "liberté" de jouissance ou non de leur accès en un "droit" qui frôle en fait le "devoir" d'accepter l'administration desdits services.
Sa première critique ne résiste pas à l'examen historique, qui ne me semble pas prouver que la professionnalisation soit de plus en plus corporatiste (mais éventuellement que la transmission du savoir a changé de mode, ce qui est tout autre affaire...). Sa deuxième critique ne résiste pas à l'épreuve du bon sens, car il me semble prouvé que si l'instruction peut parfois entraver la curiosité intellectuelle, son absence ne la favorisera en aucun cas ; que les dépenses médicales sont effectivement proportionnelles au recul des maladies et au prolongement de l'espérance de vie (à l'encontre des supputations fantaisistes d'Illich : passim et p. 83) ; que les soins demeurent liés à un acte de volonté explicite des patients et l'autodidactisme (tout comme moult pratiques de "bricolage") n'est nullement en recul ; et enfin que la fétichisation illichienne de l'accouchement dans le lit de la parturiente ne devrait pas nous faire oublier le nombre immense de décès qu'il a provoqué dans l'Histoire et la géographie de sa pratique... [A moins qu'Illich ne soit un malthusien déguisé, qui veut nous faire crever pour libérer de la place sur la planète !]
En conclusion, Illich est un philosophe et non un économiste tel Serge Latouche. Son système veut être cohérent mais est fragilisé par l'amalgame entre biens et services. Le style de cet essai, parfois un peu obscur, très souvent ami du paradoxe, le porte à un passéisme (reproché souvent à la théorie de la décroissance) ainsi qu'à des énormités qui finalement desservent sa cause par invraisemblance :
"Pour prendre l'exemple des éducateurs, ce sont eux qui disent à la société ce qui doit être appris et qui ont le pouvoir de réduire à rien ce qui a été assimilé hors des murs de la classe. Cette sorte de monopole qui les habilite à vous empêcher d'acheter ailleurs que chez eux ou de fabriquer vous-mêmes votre tord-boyaux semble d'abord les faire répondre à la définition que le dictionnaire donne des gangsters." (p. 41)

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Laudateur



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Posté: Sam 07 Aoû 2010 9:01
MessageSujet du message:
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Je te remercie pour cette note de lecture. Je suis impressionné : moi je n'arrive pas à synthétiser comme ça. C'est un "don"!

La vraie difficulté - toujours dans le cas des auteurs de ce type - c'est qu'ils écrivent en vertu de ce qu'ils ont déjà écrit. Illich, je ne sais pas (quoique que, je commence à savoir), mais Ellul c'est ça.
Illich ne dit pas par exemple qu'il ne faut pas du tout d'éducation et qu'il faut revenir à l'absence d'instruction, comme c'était le cas avant. Il dit, entre autre - mais pas dans ce bouquin - les méfaits profonds de l'éducation telle qu'elle est conçue, l'enfermement que ce système représente, dans lequel le savoir vernaculaire n'a aucune place alors que c'est lui qui donne véritablement un savoir pratique qui nous aide à vivre, et elle est le fait de spécialistes reconnus par l'Etat qui s'est assuré de bien les former (élitisme, etc.) Bien sûr des gens y échappent plus ou moins, parce que moins maléables, mais globalement c'est un système de reproduction sociale (je crois que c'est pas nouveau et reconnu de tous les sociologues ou presque) qui exclut les plus "faibles" - d'autres diraient les plus "pauvres".
Ses remarques visent plutôt à réformer ce qu'on appelle l'éducation pour qu'on la pense autrement, pour qu'on arrête de faire ingurgiter aux gamins des trucs qui ne servent à rien et qu'on se penche moins sur une "instruction publique" (je n'arrive pas à dire "éducation nationale", c'est étrange) que sur une éducation adaptée à la curiosité de l'enfant. Certaines pédagogies sont plutôt orientées en ce sens (Montessori, Freynet, Steiner...) mais ne seront jamais mises en place dans un Etat nationaliste. Voilà en tout cas ce que j'en ai compris, à la lecture de "Une société sans école".
Sur la médecine, là aussi le problème est complexe. Je n'ai pas encore lu "Némésis médicale", mais c'est ce bouquin qui contient les réponses. Il ne dit pas que la médecine est mauvaise en soi, il dit que les problèmes qu'elle pose sont plus grands que ceux qu'elle prétend résoudre. Il n'est qu'à regarder le traitement du cancer : c'est chouette de prolonger la vie d'une personne - qui le nierait? - mais la souffrance est telle qu'on peut se demander si elle vaut la peine d'être traversée. Et c'est au malade de le décider. Sauf qu'on ne lui explique quasi pas ce qu'il va traverser, et il n'a pas le choix : on le pousse à subir les opérations nécessaires, on lui met la pression. L'accouchement, oui c'est clair, l'accouchement en hôpital a été un énorme progrès, mais il a aussi fragilisé le lien mère/enfant, en insistant notamment sur un passage très rapide au biberons, en aseptisant systématiquement tout ce qui passe sous la main, etc. La réflexion - à mon avis - est : comment apporter notre nouveau savoir-faire pour permettre aux gens de naître chez eux dans les meilleures conditions sanitaires possibles? Certains accouchent chez eux aujourd'hui, par choix, et s'en portent bien!
Mais là où je te rejoins, c'est que Illich a tendance à nier l'apport de ces "évolutions". Bah, la pub et les infos se chargent de nous transmettre cette propagande-là, tout est bien, la science et le progrès technique vont résoudre toutes nos difficultés, enfouissons les déchets nucléaires, un jour nous saurons quoi en faire... ce n'est pas la peine de les reproduire, a-t-il sans doute pensé. Mais du coup, ce n'est pas très équilibré.
M'enfin, si on lit ça d'une manière dépassionnée et non progressiste-à-tout-crin, on peut - me semble-t-il - comprendre la relativité du progrès. Comme disait Ellul (je paraphrase) : le progrès technique veut résoudre des problèmes. Quand il y arrive, la solution apportée provoques des difficultés pires que celles qu'il était censé résoudre.
D'où l'idée Illichienne de "contre-productivité" notamment liée à la bagnole (plus circulent des machines qui roulent vite, et moins on se déplace rapidement : saturation des axes routiers, etc), aux soins (plus on vit dans un monde aseptisé, plus on se chope le moindre microbe qui passe) et à l'éducation (l'instruction, si elle est importante globalement, détruit le seul savoir utile aux personnes : l'éducation à vivre avec les autres, et utiliser son savoir pour développer nos besoins).
_________________
Laudateur

"Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument."
(Lord Acton.)
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