Bernard Prince, Barney Jordan, Djinn et le Cormoran reprennent du service et du cabotage dans l’Amazonie pluvieuse chère au trio quand Michel Greg scénarisait à tour de bras et qu’Hermann s’exécutait aux pinceaux, dans les années soixante-dix et les très riches heures du journal Tintin. Guérilla pour un fantôme fut le point d’orgue d’une série demeurée inachevée. Quelques repreneurs talentueux s’y essayèrent, Aidans, Dany mais sans Greg aux manettes, les aventures semblaient s’enliser d’elles-mêmes. Yves Hermann, le fils du père graphique de Prince et consorts, a visiblement relu toutes les aventures et sert aujourd’hui un pot-pourri qui s’épanouit dans la jungle aqueuse d’une Amérique pleine de gadoue. Djinn, le mousse, a grandi mais Jordan et Prince n’ont guère pris de rides, éternité des héros oblige. On y retrouve El Lobo, Bronzen toute la clique à claque et le chic choc du cloaque. Les clichés sont moulinés, enrichis aux fines herbes et servent une épaisse purée roborative. Bronzen cherche à se venger de l’équipage du Cormoran, fait kidnapper Djinn. El Lobo affrète le caboteur pour transporter des armes au grand dam du vertueux Prince. Le détournement du bateau, de sa cargaison et du mousse entraînent El Lobo, Prince et Jordan dans un traquenard, l’un à la poursuite de son bien, les autres à la recherche de leur mousse à raser. Sauront-ils échapper à la vengeance méthodique du chasseur en colère, Bronzen, assisté d’une pléiade d’hommes de main aguerris et sans scrupule ? Au final, Prince pourra couler son Bronzen sans faire de caca nerveux et repartir vers de nouvelles aventures sur son beau bateau blanc.
L’histoire sent le réchauffé à plein nez mais Hermann le père est audacieux, plein de ressources graphiques, maniant la couleur directe efficacement, dynamisant par des cadrages cinématographiques un récit pourtant tout proche du plat de nouilles ou de la purée tiédie. Le titre de l’opus, tout flapi d’insignifiance, en dit long sur l’atonie du récit. L’ensemble se lit sans temps mort mais sans surprise aussi. Yves H. a su canaliser le flot verbeux et les lourdes références qui appesantissaient ses précédentes histoires trop souvent ennuyeuses, véritables marques de fabrique d’une entreprise de déconstruction. Hermann rame et tient le cap vaille que vaille en dépit de l’âge qui piaille. Comme tant d’autres, à l’instar de Moebius, Bilal ou Gillon par exemple, il n’aura pas su composer une grande œuvre même si son talent de dessinateur est éclatant, la faute probablement à l’indigence des scénarios proposés et au manque de cohérence des histoires, avec un bémol pour les auteurs précités qui ont pu bénéficier de Charlier, Christin et Forest au scénario mais cela ne suffit pas. Hermann aura pu vivre de son talent, enthousiasmer parfois son lectorat et ce n’est déjà pas si mal.
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