[Le Voyage à Istambul : Voyage à la ville aux mille et un noms : Byzance, Constantinople, Istambul | Alain SERVANTIE]
Je connaissais un certain nombre de récits de voyages à Constantinople et même d'anthologies sur ce thème. J'ignorais cependant que "hors les ouvrages religieux, les premiers succès de l'imprimerie naissante ont été les récits de voyages" dont la première destination "exotique" était le Levant, et que par conséquent, Stéphane Yerasimos en avait recensé non moins de 449 dans l'empire ottoman rien que dans la période 1453-1600...
Du fait de cette abondance, se posent d'importantes questions surtout si l'on n'envisage aucune borne historique, et que l'on ambitionne de compiler une anthologie qui s'étend de Strabon à Grace Ellison (1913)... : privilégier les inconnus ou les renommés comme Evliya Celebi, Antoine Galland, Casanova, Lady Montagu, Chateaubriand, Lamartine, Nerval, Flaubert, Gautier, De Amicis, et bien sûr Pierre Loti? Et, du point de vue des contenus, privilégier les mythes, sujets devenus tels par répétition, emprunts, lieux communs (au sens propre), emblèmes (ex. les minarets et les cyprès, le harem du Sérail, le marché aux esclaves, les eunuques), ou les pages originales et les thèmes moins ou différemment traités? En effet, comme l'écrivait déjà Lady Montagu en 1718, "Nous autres voyageurs sommes dans une situation bien difficile. Si nous nous tenons à ce qui a été dit avant nous, nous sommes des raseurs et nous n'avons rien vu. Si nous racontons quelque chose de nouveau, on se moque de nous en nous traitant d'esprits romanesques et d'amateurs de fables [...]" (p. 325). Et encore: proivilégier les anciens, qui nous parlent moins car leur regard est lui-même archaïque, ou les modernes qui fatalement et dans leur ressemblance se rapprochent le plus de nos idées reçues et donc finissent par se confondre dans un cadre homogène où les quelques pages de chaque auteur perdent leur spécificité?
Je trouve que l'introduction de Servantie (58 p. sur 588) est très utile pour donner une première esquisse des thèmes mythologiques (je me réjouis qu'il utilise aussi ce terme que je crois avoir été le premier à utiliser dans ce contexte stambouliote) et des références qui les ont rendus tels (Chateaubriand, par ex, semble avoir écrit sans avoir rien vu du tout, entièrement par "emprunts"...), pourtant encore très insuffisante. Le nombre impréssionant d'auteurs anthologisés me semble excessif, dans la mesure où les citations sont souvent courtes. Par contre une bibliographie plus ample et plus complète (pourquoi pas une bibliographie critique?) aurait été la bienvenue. Servantie semble ne pas avoir tranché sur les questions que je viens de poser, mais avoir cherché un compromis consistant dans l'inclusion des pages les moins attendues des auteurs les plus connus AINSI que de pages relativement "emblématiques" d'auteurs peu connus ou entièrement inédits. Je pense que ceci a contribué à rendre ma lecture très lente, pas vraiment jouissive et de ne pas m'avoir laissé le souvenir d'associations claires entre un auteur et l'une des nombreuses images (parfois répétées) qui me sont restées. Mais l'ampleur des ambitions de l'ouvrage ne peut que rendre sa réussite plus improbable ou plus partielle.
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