Ce livre parle du tout premier maillon (le maillon zéro?) de la chaîne du livre: du manuscrit qui parvient à la maison d'édition au livre qui peut en sortir. Son postulat est que le texte est le réceptacle du sens, et la conclusion est que les multiples altérations que le texte subit, et notamment l'accumulation de tous les éléments du paratexte modifient de plus en plus le sens. Il s'agit donc, de la part du célèbre éditeur, d'une mise en évidence des multiples processus concrets, souvent occultes pour le profane, qui interviennent à l'intérieur et autour d'une maison d'édition, ainsi que d'un discours plus abstrait sur l'influence sournoise de l'argent, du carcan médiatique, critique, éditorial, ainsi que des idées reçues sur le temps, le langage, la modernité, etc.
Néanmois, au fil des pages, l'oeuvre de dévoilement de ces mécanismes se transforme en réquisitoire amer et implacable contre l'autorité arbitraire du paratexte:
"[...] l'un des aboutissements que l'exploration des actes du paratexte met en évidence, c'est bien celui-là, c'est bien la banalisation de l'acte de lecture, au péril du sens qu'il prétend découvrir. A vouloir donner pour chaque livre de trop vaines, trop immédiates ou trop futiles raisons de le lire, [...] on en arrive à dégrader la nécessité initiale [...]" (p. 178).
Et pourtant, dans le marché actuel dans laquel Nyssen évolue lui aussi comme éditeur, l'on sait que sans paratexte, sans toute la "valeur ajoutée" qui crée le produit livre et qui essaie d'optimiser sa promotion et sa distribution, le texte lui-même ne pourrait même pas voir le jour, ou serait condamné à l'agonie dès sa naissance. Actes Sud ne se défend pas d'utiliser des couvertures voyantes, de gigantesques affiches y compris dans le metro parisien, des quatrièmes de couverture au paratexte aguichant. Pour tout dire, Actes Sud n'est pas non plus José Corti... Et il en est bien comme ça.
En bref, j'aurais préféré une approche théorique qui ferait du paratexte, comme d'ailleurs de son cas emblématique qu'est la traduction, un procès qui modifie le sens, certes, mais pas uniquement pour aboutir à un appauvrissement, souvent même pour l'enrichir, dans une négociation donnant-donnant entre acteurs multiples qui apportent tous leur savoir et leur intelligence (parfois aussi leurs mauvaises intentions) au service du texte, et dont le nom de certains apparaît sur la couverture en compagnie de celui de l'auteur; sans quoi on risque de trop tirer sur ses confrères sans assez indiquer en quoi on prétend s'en distinguer. Et d'autre part j'aurais aimé lire davantage de cas concrets de modifications, outre le cas ancien de Le Diable au corps, maintes fois réutilisé comme exemple; des cas qui n'ont certainement pas dû manquer dans la longue carrière de notre auteur-éditeur.
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