« Un certain Blaise Pascal ».
Epinglé par Jacques Prévert, athée notoire, dans « Paroles » (1946) à travers « Les paris stupides », Pascal faisait les frais d’une irrévérence lapidaire mais, balayée d’un revers de main, la poussière argentée des Pensées pascaliennes n’en revient pas moins se déposer sans bruit au fond des mémoires pour peu qu’on ait un jour approché les traits de feu du mathématicien philosophe, du physicien moraliste, du libertin illuminé par la foi. Pendant que le docte Gérard Ferreyrolles, spécialiste de Pascal, éclairait son auditoire estudiantin à l’université de Rouen au mitan des années 1980, quelque temps auparavant, Antoine Compagnon, fin connaisseur de l’œuvre de Montaigne, y officiait brillamment. Dans le monde de l’enseignement des lettres, tout se tient, le parcours des hommes et le cheminement des pensées. Après avoir entretenu un riche compagnonnage avec le grand essayiste de la Renaissance (Nous, Michel de Montaigne, Seuil, 1980), l’ancien polytechnicien converti à la littérature, Antoine Compagnon s’attellera naturellement, avec aisance et clarté, à l’œuvre inachevée de Blaise Pascal dont la puissance déflagrante continue de hanter et d’innerver, des siècles plus tard, la littérature et la philosophie.
Avec Liebniz, Pascal est le dernier « génie universel » et la spécialisation des savoirs ne risque pas d’en faire advenir de nouveaux. Dans les trente-cinq chroniques radiodiffusées auxquelles Antoine Compagnon en adjoint six nouvelles pour l’édition imprimée, l’activité et les découvertes scientifiques de Blaise Pascal ne sont qu’évoquées. La contextualisation et l’explicitation des Pensées constituent le cœur de l’ouvrage. Bien que le format soit court, le commentaire clair et vivant, le propos demeure dense, parfois rétif. Les Pensées n’ont aucune valeur apéritive dans une période estivale propice au farniente. Elles sont exigeantes, profondes et imposent absorption, rumination, un temps long pour tenter de les assimiler. Pascal est un apologiste. Il veut amener le libertin par la logique et la raison vers le doute et la foi. La puissance de son esprit alliée à la finesse de sa rhétorique en font un redoutable bretteur. Antoine Compagnon, avec son exigence intellectuelle coutumière, réussit son entreprise de vulgarisation et donne à nouveau envie d’approcher l’œuvre du génie.
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