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[L'activité des demandeurs d'asile | Alexandra Felder]
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apo



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Posté: Ven 19 Juil 2019 23:02
MessageSujet du message: [L'activité des demandeurs d'asile | Alexandra Felder]
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Cet essai prend pour origine le constat suivant : la condition de demandeur d'asile constitue une rupture biographique qui se traduit par une double difficulté existentielle pour l'individu : dans le présent, sa précarité juridique et matérielle (associée à la stigmatisation, l'absence de reconnaissance, toute sorte de misères quotidiennes dont il est victime) ; difficulté à se projeter dans le futur, dont le succès dépend de sa capacité d'élaborer des stratégies de défense et de résistance, lesquelles passent par l'activité partagée avec autrui. Cette activité ne se limite pas au domaine professionnel (qui est considérablement entravé par la loi) mais peut prendre d'autres formes : sont ici explorés également les projets de formation, les engagements associatifs ou politiques et enfin la rédaction ou co-écriture de récits autobiographiques et (ensuite) d'autres textes relatifs à l'exil. Ces activités répondent conjointement à trois fonctions : utilitaire, sociale et identitaire.
L'auteure, sociologue rattachée à un institut universitaire de Lausanne, fait usage d'entretiens cliniques très fortement traités, l'annexe rapportant une liste de seize demandeurs (en français de Suisse on semble utiliser plutôt le terme de « requérant d'asile », qui me paraît plus juste) cités dans l'ouvrage.
Il faut ici préciser que, hormis dans le premier ch. : « Accueillir les réfugiés ? » où les démarches des réfugiés en France et en Suisse sont étudiées comparativement, dans le reste de l'essai il n'est question que du contexte suisse qui diffère de la France en ceci : les réfugiés ont le droit d'obtenir un emploi plus tôt (à partir de 3 mois après le dépôt de la demande d'asile – contre 9 mois, maintenant 6 en France) – mais dans des secteurs économiques restreints et fortement dévalorisés – l'hôtellerie-restauration, le nettoyage – ; par ailleurs les employeurs semblent très réticents à embaucher un travailleur ayant un permis de séjour révocable, sauf dans le milieu associatif ; l'aide sociale semble être remarquablement plus généreuse qu'en France mais elle doit être remboursée de façon échelonnée dès perception d'un salaire ; il semble exister davantage de procédures de recours et de réexamen d'une demande rejetée, notamment par la requête d'un « permis humanitaire », par conséquent une régularisation individuelle est possible même une décennie après avoir été débouté : pendant ces longues années de clandestinité éventuellement réversible, l'exilé est soumis en Suisse à une injonction contradictoire : l'autorisation de travail lui ayant été retirée, il doit faire preuve par ailleurs de « bonne intégration », ce qui implique son indépendance financière (p. 77).
Le chapitre 2, de façon unique, évoque in extenso les « Récits de vie, parcours d'activités » de deux interviewées qui semblent être emblématiquement opposées : Sholee, iranienne et Martine, centrafricaine.
Dans le ch. 3 : « Entre construction et sous-emploi de soi, les activités professionnelles », ce qui me paraît le plus intéressant, c'est la catégorisation des « réponses au sentiment de dévaluation par le travail » : 1. « inscription dans une "carrière de migrant" », 2. « distinction et distance », 3. « indignation », 4. « subversion de l'humiliation », 5. « clivage entre activité alimentaire et activité personnalisante ».
Le ch. 4 traite des formations, en se focalisant sur l'aspect de la temporalité, entre continuités et ruptures, entre assignations dévalorisées et prise de risque (d'échec intellectuel).
Dans le ch. 5 il est question du monde associatif et de ses solidarités, selon la clef d'analyse de « l'espace transitionnel » de Winnicott et donc dans la dynamique de l'investissement et du désinvestissement ; il convient aussi de distinguer les associations de migrants « d'ici » des associations de compatriotes en exil.
Le ch. 6 : « Production d'un discours adressé, restaurer la voix » se rattache à la pensée de Ricœur sur le récit et l'identité ; il est donc question de se demander à qui le discours est adressé : à soi-même ?, à ses pairs ?, à la population majoritaire ? En outre, les implications de l'acte et du rôle de rédacteur, de conducteur d'entretien, de médiateur avec l'autorité censurant, de professionnel de l'écriture sont étudiées.
Enfin le ch. 7 : « Les enjeux de l'activité en situation de grande précarité : assignations et résistances, temporalités, théories de l'activité et précarités » constitue, à toutes fins pratiques, un excellent résumé du volume...
Et voici donc ce que je reproche à ce livre. La problématique est énoncée de manière excellente dans l'introduction ; les résultats de l'enquête sont superbement résumés dans ce dernier chapitre... et les deux rendent presque inutile la lecture du reste. En effet, on a très souvent l'impression fastidieuse que l'exposé est une longue et parfois laborieuse énonciation-répétition d'évidences. Au fil des pages, je me suis persuadé que cette pesanteur est probablement due à un usage peut-être un peu maladroit en tout cas mal assuré du matériau des entretiens. En effet, le chapitre 2, où ils sont utilisés de façon plus abondante et avec moins de remaniements, est le plus agréable à lire, et on ne peut que regretter de ne plus avoir un portrait aussi détaillé des autres personnages, dont quelques rares et courtes citations ne servent que de fragments pour étayer des arguments hélas déjà connus ou devenus très vite assez intuitifs. Je connais la difficulté de traiter la matière première d'un corpus d'entretiens. On veut donner une justification à sa parole savante en multipliant les références interprétatives et en réduisant à l'extrême les voix de première main, fractionnées, fragmentées, mutilées. Je pense avoir commis la même erreur dans ma thèse, à la différence que je disposais d'un nombre de pages quatre ou cinq fois supérieur à celui de cet essai, et que mes citations et autres textes ont pu être moins découpés et plus « littérairement agréables » à lire.
Mais les vertus de synthèse des conclusions de chaque chapitre est surtout du ch. 7 ne doivent pas pénaliser ni minorer la valeur de la thèse démontrée, qui par ailleurs est pleine de mérites humanistes et pédagogiques. Le traitement de la matière première ne relève que d'un regret, peut-être très personnel...


Cit. :


« L'inscription des théories de l'activité dans le domaine de la clinique de l'exil et de la précarité permet de considérer le sujet non seulement dans son "être" mais dans le "faire". L'être, en termes de représentation de soi, d'autrui, de l'environnement, est souvent privilégié dans les recherches, faisant ainsi abstraction du fait que l'être se construit et se développe dans le faire, dans l'activité au quotidien, dans la transformation de soi, de l'environnement, de la situation présente, et ce, avec autrui.
On peut faire l'hypothèse […] que l'expérience de l'exil sur un mode subi ou assumé […] n'est pas réductible à une représentation de soi et des événements passés ou présents, pas plus qu'elle n'est uniquement liée à la question du statut juridique de séjour ; elle serait en outre étroitement ancrée dans l'investissement dans différents domaines d'activités : la question de la continuité avec le passé et un futur projeté y reprend pleinement sa place. Car le sentiment de subir se rejoue dans l'activité, […] que ce soit au niveau de l'activité de travail (sentiment de dévaluation), de la vie associative (précarité de la construction du collectif) ou de la formation (difficultés d'accès et de faire reconnaître des formations antérieures). De même, vivre l'exil sur le mode assumé serait lié, entre autres, à des activités signifiées dans d'autres domaines. Car c'est dans l'activité signifiée que se construit et se consolide "l'acte-pouvoir". » (pp. 220-221)

« […] la rédaction du journal permet aux candidats à l'asile de développer un travail de réflexion sur leur expérience vécue. Elle ne se fait pas […] par le récit de leur propre histoire, comme lors des entretiens cliniques que nous avons réalisés avec eux, mais en se déplaçant de leur propre expérience vers des histoires différentes des leurs. Or, on constate un effet miroir par ce déplacement : la réflexion sur le domaine de l'exil sert à la distanciation et à la remise en contexte de leur propre vécu. L'expérience est transmise par référence au contexte socio-historique, offrant ainsi une possibilité de distanciation par la médiation d'une condition partagée, celle des demandeurs d'asile dans le contexte contemporain. » (p. 193)

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