C'est une nouvelle fois un livre étrange que nous livre Emmanuel Carrère, auteur de La Moustache, de l'Adversaire et aussi de la superbe biographie de Philip K. Dick "Je suis vivant et vous êtes morts". On sait déjà que cet auteur aime les situations psychologiquement tordues, du moins il prend plaisir à les décortiquer avec une rigueur de médecin légiste. Cette fois, il s'agit de lui, de sa maman (l'académicienne Hélène Carrère d'Encausse), de son grand-père (un immigré géorgien, admirateur d'Hitler et de Mussolini - mais pas antisémite, précise Carrère - qui collabora avec les allemands pendant la dernière guerre) et de sa compagne, celle pour qui, à son insu, il écrivit une nouvelle érotique parue dans le Monde - je me souviens l'avoir lue ce jour là-, nouvelle qu'elle ne lira pas car quelque chose a déréglé la superbe mécanique qu'E. C. avait mise en place. L'auteur a beau s'ingénier à nous montrer que son attitude est, somme toute, très normale, on ne peut s'empêcher de penser qu'il n'en est rien, que la bizarrerie est son oxygène, son mode de vie et qu'il est en permanence en train de jouer une partie d'échec avec un adversaire qu'il s'invente. Poursuivant sa logique sans vraiment s'occuper de ce que fait l'autre, il espère toujours gagner avec un coup d'avance mais est pris au dépourvu par la réponse de l'autre qu'il n'avait pas anticipée.
Cette tentative d'exorciser ses démons (en dépit de l'interdiction formulée par sa mère de parler de ce grand-père au passé sulfureux) est parfois touchante (particulièrement dans les épisodes qui se passent en Russie dans cette ville de nulle part nommée Kotelnitch) mais elle confine parfois au déballage exhibitionniste notamment dans l'histoire de sa séparation racontée dans tous ses détails dont on n'est pas bien sûr qu'ils nous "regardent" vraiment.
On aimerait croire que cette mise à nu en public permettra à l'auteur de "régler ses problèmes" aussi bien avec sa maman qu'avec les femmes en général (sa présente compagne s'appelle Hélène !) mais on pressent que, du côté de sa maman en tout cas, l'affaire n'est pas gagnée. Emmanuel lui fait "cadeau" de ce livre, mais bien-sûr le cadeau est empoisonné et on imagine sans peine que maman Carrère rejettera avec dédain ce livre comme elle l'a déjà fait avec les autres livres de son fils, et sans doute plus violemment encore (ou plus insidieusement ...). Me voilà à mon tour en train d'imaginer le "coup suivant" de cette partie d'échec infernale. Qui saura mettre un terme à cette partie morbide et "mettre les pendules à zéro" ... pour que l'auteur puisse enfin s'échapper du cul de sac de Kotelnitch ?
J'ai envie de souhaiter bon courage à Emmanuel Carrère.
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