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[Disgrâce | J. M. Coetzee]
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Franz



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Posté: Mar 05 Fév 2008 21:33
MessageSujet du message: [Disgrâce | J. M. Coetzee]
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Vingt-quatre chapitres intitulés de « Un » à « Vingt-quatre » s’égrènent comme un chapelet d’heures et déclinent la disgrâce (défaveur et chose disgracieuse emmêlées) qui touche un homme, sa fille et son pays, ici l’Afrique du Sud post apartheid. Sans trop savoir la formuler, le professeur de poésie romantique à l’université du Cap, David Lurie, quémande une grâce qui se dérobe sans cesse. A cinquante-deux ans, son charme s’est volatilisé et « s’il voulait une femme, il devait [maintenant] apprendre à lui courir après ; et souvent, d’une manière ou d’une autre, l’acheter ». Comme les déchus de la vie, il tente de s’accrocher à toutes faims « au banquet exquis des sens ». Sa liaison avec une de ses jeunes étudiantes, Mélanie Isaacs, va précipiter sa ruine. Dénoncé pour harcèlement sexuel et faute professionnelle, il endosse sa responsabilité sans jamais chercher la moindre excuse ou tenter une quelconque tentative de conciliation. Il quitte sa fonction, la ville et part rejoindre sa fille Lucy dans le bush africain. Le travail de sape et de mise à nu ne fait que commencer. La terre est ingrate, pelée, aride. Petrus est l’homme de main de Lucy mais il est libre et devient propriétaire des terres avoisinantes. L’irrigation de la ferme de Lucy permet la culture de fleurs vendues sur le marché local. Un chenil apporte un complément financier. Lucy vit seule en quasi autarcie comme une Boer pionnière. La violence survient, aussi soudaine que brutale. Lucy est violée. David est brûlé vif par trois Africains de passage. Sont-ils réellement passés par hasard ? Pourquoi Petrus était-il absent ce jour-là ? La scène, d’une réalité crue, est particulièrement pénible. Le père et la fille s’en sortent mais le fossé entre eux est désormais infranchissable. Lucy veut garder l’enfant qu’elle porte. David ne comprend plus rien. Tout lui échappe : « Pour la première fois il a un avant-goût de ce que se sera d’être un vieillard, fatigué, une carcasse fourbue, sans espoirs, sans désirs, indifférent à l’avenir… il sent son intérêt pour les choses de ce monde le quitter, goutte à goutte… A la fin il ne sera plus qu’un squelette de mouche pris dans une toile d’araignée, qui s’effritera si on le touche, plus léger que la paille d’un grain de riz… » La police et la loi ne semblent plus avoir aucune prise sur une société brisée, émiettée par des années d’apartheid. Progressivement, les terres sont reconquises par les paysans africains. Les Boers sont petit à petit mis au ban. Lucy s’accroche mais ses jours sur cette terre qu’elle aime sont irrémédiablement comptés. La chute du professeur Lurie semble se faire de concert avec son pays. Il est devenu vieux jeu. Ses valeurs liées au savoir et à la hiérarchie sont désormais caduques. Sa langue a perdu sa vitalité. Il ne lui reste plus qu’à faire l’amour avec Bev Shaw afin d’enterrer définitivement sa sexualité (c'est-à-dire étouffer tout désir) : « Il enlève son slip, se glisse à côté d’elle, lui passe les mains sur le corps. Elle n’a pratiquement pas de seins, ni de taille, comme un petit tonneau trapu. » « …il faut qu’il arrête de l’appeler la pauvre Bev Shaw. Si elle est pauvre, lui a fait faillite. »
Le style de Coetzee est fait de phrases courtes, sans fioriture, ciselées, sèches, cinglantes. Le récit est resserré autour de David Lurie, professeur leurré. Le lecteur vit au rythme de ses pensées. Il subit le désenchantement d’un homme confronté à la fin de son monde, de sa vie, de ses désirs. Le propos lucide d’un homme cultivé et d’une société, tous deux à la dérive, laissent entrevoir entre les jointures des phrases une noirceur abyssale. Au début du roman, le professeur Lurie donne un cours de poésie et dit : « Wordsworth parle des limites de la perception sensorielle… Comme les organes sensoriels atteignent leurs limites, leur lumière commence à faiblir. Pourtant, avant que d’expirer, cette lumière lance un dernier éclat, comme la flamme d’une chandelle et nous laisse apercevoir l’invisible… » Cette phrase superbe est une mise en abyme magistrale d’un roman sombre qui laisse le lecteur en état d’hébétude avec un goût de cendre dans la bouche.

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