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[La conversation des sexes | Manon Garcia]
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Posté: Hier, à 7:32
MessageSujet du message: [La conversation des sexes | Manon Garcia]
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Cet essai date de 2021, lorsque les interrogations sur le concept de consentement sexuel recouvraient l'actualité du mouvement #MeToo ; il précède notamment l'essai d'Irène Théry intitulé _Moi aussi : la nouvelle civilité sexuelle_ qui reprendra de lui, en la développant significativement, l'idée fondamentale et le souhait qu'advienne un passage « Du consentement-contrat au consentement-conversation » : ce dernier terme étant l'éponyme de ce livre de Manon Garcia. Ici, donc, il est question d'une analyse du concept de consentement d'une profondeur remarquable, sous le prisme philosophique. L'entreprise pourrait paraître disproportionnée au regard du résultat, si la conclusion de Garcia n'était pas complètement contre-intuitive : le consentement s'avère être un concept inadapté à distinguer le sexe licite du sexe illicite (et particulièrement du viol) ; les réformes législatives intervenues dans plusieurs pays en vue de faciliter le jugement pénal du viol ou d'en aggraver les sanctions sont vaines voire contre-productives, car elles subissent les ambiguïtés provenant de la polysémie du concept ; par contre, d'un point de vue de la théorisation et de la pratique du féminisme, le consentement peut constituer les prémisses d'une évolution sociétale vers une sexualité moins patriarcale, plus égalitaire, plus épanouie que ne l'a permis une révolution sexuelle très incomplète, dès lors que le consentement est conçu comme « conversation des sexes ».
L'ambiguïté du consentement est d'abord juridique : il possède un sens différent, notamment par rapport à sa révocabilité, en droit privé (source d'obligations), en droit pénal (éventuelle autorisation dans les limites de principes non contractualisables), en philosophie politique (légitimité du pouvoir étatique, étudiée à partir du contractualisme anglais jusqu'à Noam Chomsky dans : _La Fabrication du consentement_). En philosophie morale, deux visions s'affrontent sur la question des limites des droits naturels : le libéralisme de Mill d'une part et les _Fondements de la métaphysique des mœurs_ de Kant de l'autre. Appliquée au consentement sexuel en particulier, cette opposition se retrouve encore d'actualité dans la problématique du BDSM (sadomasochisme) avec ses « contrats » écrits, et dans son traitement judiciaire. Cependant, plus généralement, un enchevêtrement existe entre sexualité et politique, reconnu depuis Freud et très prégnant dans l'ensemble du paradigme psychanalytique, puis particulièrement étudié par Michel Foucault et aujourd'hui par Judith Butler. Successivement, le consentement sexuel, entendu comme possibilité d'autonomie personnelle et ensuite comme agentivité, s'inscrit dans la pensée féministe : la soumission des femmes est-elle une « servitude volontaire » au sens de La Boétie ? quel est le sens du consentement s'il y a exclusion ? De surcroît, la critique anthropologique intervient pour préciser le rapport entre « céder et consentir », entre « conscience et oppression » en présence de la violence ou de la menace, et des théoriciennes comme MacKinnon arrivent à poser « l'impossibilité du consentement sexuel » dans le cadre du patriarcat. Toujours dans le contexte riche et complexe de la pensée féministe et LGBT, se pose la question de la généralité des violences de genre, qui dépasse largement le crime du viol, pour parvenir à un « continuum sexuel hétéronormatif » (Ann Cahill) caractérisé par une « zone grise » (Nicola Gavey) confirmée par les témoignages sociologiques sur la réalité empirique du consentement sexuel (Jean-Claude Kaufmann et Alexia Boucherie). Le dernier chap. intitulé « Le sexe comme conversation » esquisse donc cette nouvelle forme souhaitée que pourrait revêtir le concept de consentement, conçu comme dépassement et rejet de la domination. Y est posé spécifiquement l'argument de l'insuffisance voire de l'inadéquation de la réponse judiciaire aux violences sexuelles (agressions et viols).
Cette lecture est exigeante, ses références sont nombreuses et toujours très intéressantes, puisées abondamment dans la littérature académique anglo-saxonne. Un appareil de 50 p. de notes de fin d'ouvrage complète le texte.



Table [avec appel des cit.]

Introduction – Le problème du consentement :

Des intuitions trompeuses
La loi et les mœurs
Le scénario du parking et autres mythes
Un rapport sexuel non consenti est-il un viol ?
Pour une philosophie du consentement sexuel [cit. 1]
Patriarcat et consentement

Chap. Ier – La spécificité du consentement sexuel :

Les trois sphères du consentement
Les ambiguïtés du consentement sexuel [cit. 2]

Chap. 2 – La puissance justificatrice du consentement [cit. 3] :

Le bon et le permis [cit. 4]
Les deux morales du consentement
Consentement, autonomie et humanité
Les ambiguïtés normatives du consentement

Chap. 3 – Sexualité, contrat et liberté :

Qu'est-ce que le BDSM ?
Le recours au contrat dans le sadomasochisme
La défense libérale du BDSM [cit. 5]
L'objection au nom de la dignité humaine

Chap. 4 – Le sexe est politique :

Une révolution sexuelle
Psychanalyse et répression du sexuel
L'indéfectible lien entre pouvoir et sexe
L'intime est politique
Un cas pratique : le BDSM

Chap. 5 – Le genre du consentement :

Consentement, féminisme et libéralisme
La sphère privée, le mariage et le consentement des femmes [cit. 6]
« Céder n'est pas consentir » : la critique anthropologique du consentement
L'impossible consentement sexuel

Chap. 6 – Le sexe non-consenti est-il du viol ? :

Consentement, injustices de genre et autonomie personnelle [cit. 7]
Consentement et mauvais sexe
Zone grise

Chap. 7 – Le sexe comme conversation [cit. 8] :

Contre le sexe comme champ de bataille
Intersubjectivité sexuelle : le consentement comme respect [cit. 9]
Pour une conversation érotique
Et concrètement ?

Conclusion



Cit. :


1. « Qu'une telle analyse philosophique du consentement dans son sens amoureux et sexuel n'ait pas encore eu lieu n'est pas le fruit du hasard : ce n'est que récemment que le consentement est devenu un objet de réflexion en lui-même. En effet, […] le consentement a historiquement été défini de telle manière que seule son absence pourrait être constatée : l'adage "qui ne dit mot consent" manifeste cette invisibilité du consentement ; seul le non-consentement est digne d'attention. Dans la majorité des occurrences du terme, le consentement est présumé jusqu'à manifestation du non-consentement. Or les débats sur le consentement sexuel dans le contexte du mouvement #MeToo ont mis au premier plan des expériences dans lesquelles des partenaires pouvaient ne pas avoir dit 'non', ne pas avoir manifesté de non-consentement, et pour autant affirmer n'avoir pas consenti. Dans ce contexte, est apparue ce que l'on appelle communément la "zone grise", soit cette zone entre ce qui n'est pas pleinement consenti et ce qui n'est pas, non plus, pleinement non consenti ou assimilable à un viol. » (pp. 24-25)

2. « […] Le fait que le viol soit considéré légalement et moralement comme un acte différent des actes de torture ou de coups et blessures ou que la prostitution fasse l'objet de débats spécifiques et distincts du simple fait de savoir si l'on peut vendre sa force de travail physique signifie au minimum que le sexe n'est pas conçu comme une activité comme les autres et que cette spécificité doit être prise en compte dans les analyses du consentement sexuel. Cela a pour conséquence qu'on ne peut pas penser le consentement sexuel comme étant une simple analogie de formes de consentement anodines de la vie quotidienne comme prêter son vélo. Cela ne veut pas dire que l'on ne puisse rien apprendre de telles comparaisons, mais simplement que c'est une erreur de procéder par simple analogie sans s'interroger sur la façon dont l'évaluation morale de la sexualité dans nos sociétés façonne le consentement sexuel. En outre, le consentement sexuel intervient souvent dans le cadre de relations affectives et intimes qui ne sont pas nécessairement bien analysées lorsqu'elles sont examinées sans prendre en compte ce qui fait leur spécificité (rôle des sentiments, durée de la relation, etc.) » (p. 47)

3. « […] Beaucoup de pays ont récemment changé leur législation. Par exemple l'Allemagne, en 2016, a modifié les articles 177 et 178 de son Code pénal à l'occasion d'une loi appelée dans les médias "Non c'est non" : le viol n'est plus défini comme un acte sexuel impliquant violence, menaces ou une victime incapable de se défendre, mais comme un acte sexuel perpétré contre la volonté reconnaissable de la victime ("gegen den erkennbaren Willen").
La Suède […] est allée plus loin encore en définissant le viol comme toute forme de sexe sans consentement : la loi de 2018 sur le viol a ainsi introduit un nouveau délit de "viol négligent" pour les cas dans lesquels les tribunaux reconnaissent que le consentement n'a pas été établi, mais où le coupable n'aurait pas eu l'intention de violer, faisant simplement preuve de négligence coupable.
Dans les médias, dans les séries télévisées, les films, on voit se développer un consensus selon lequel le consentement serait l'outil pour remettre en cause les multiples manières dont le patriarcat a façonné nos sexualités. Ainsi, le consentement ne serait pas un bon outil seulement pour lutter contre les violences sexuelles, mais aussi pour amener un changement des pratiques sexuelles vers un sexe meilleur et plus égalitaire. Cette idée apparaît clairement, par exemple, dans les débats sur le consentement positif (ou affirmatif), soit l'idée que le consentement nécessite d'être verbalement communiqué pour être valide. » (pp. 53-54)

4. « […] Si l'on parle tant du consentement, c'est parce que la réflexion sur la sexualité n'a plus la même fonction. Comme le montre l'historien Georges Vigarello dans son _Histoire du viol_, la répression du viol a longtemps été motivée par la volonté des hommes de s'assurer que le corps de "leur" femme ne soit pas utilisé par d'autres et en particulier de contrôler la pureté de leur lignée (c'est-à-dire que leurs enfants soient bien les leurs). C'est une évolution récente que celle qui s'intéresse au désir des femmes, à leur volonté, à la violence qui est exercée contre elles. Et c'est une préoccupation encore plus récente que celle qui consiste à s'interroger sur les modalités d'une sexualité et d'une intimité qui seraient positivement source de joie, de plaisirs et de bonheur. » (p. 58)

5. « En effet, le droit français et le droit européen, influencés par le modèle kantien […] érigent la dignité en droit fondamental devant être protégé par l’État. Ce concept de dignité humaine permet de rendre compte de limitations considérées comme nécessaires de la validité du consentement notamment sexuel, mais il est important de noter qu'il ne correspond pas à l'argument kantien dans sa subtilité et apparaît surtout comme une façon de mettre en pratique les droits de l'homme.
[…]
Toujours au nom de la dignité humaine, la Cour européenne des droits de l'homme [CEDH] a rendu son premier verdict au sujet des pratiques sadomasochiste : en décembre 1995 […].
Les requérants soutiennent qu'il s'agit d'un problème d'expression sexuelle et non de violence, au regard de l'absence de dommages graves. La Cour ne retient pas cet argument et juge que le consentement de la "victime" n'empêche en aucun cas l'intervention étatique […]
[…]
En 2002, néanmoins, la CEDH opère un revirement de jurisprudence très important sur l'autonomie personnelle […] Ce revirement de jurisprudence a des conséquences directes concernant le BDSM, comme en témoigne l'arrêt 'K.A. et A.D. c. Belgique' du 17 février 2005. Dans ce cas, les pratiques sadomasochistes sont encore plus violences que celles du cas Laskey : les deux requérants font appel à la Cour après avoir été condamnés par la Belgique pour avoir pratiqué des actes d'une violence extrême sur l'épouse de l'un d'entre eux. La Cour rejette l'appel des requérants, mais elle fonde sa décision non plus sur une référence à la dignité humaine ou sur la gravité des blessures, [...] mais essentiellement sur l'absence de consentement de la victime. » (pp. 97-101)

6. « [Carole] Pateman [in : _Le contrat sexuel_] n'adopte plus la perspective libérale consistant à partir de l'individu et de ses choix mais une perspective de critique sociale qui comprend la société comme profondément structurée par la domination des hommes sur les femmes et cela complexifie le caractère binaire et parfois trop réducteur d'une évaluation en termes de consentement. La question n'est plus, par exemple, de savoir si la femme a ou non consenti à se marier, si elle a ou non consenti à être soumise à son partenaire contractuellement établi comme étant son maître, mais de savoir dans quelle mesure l'organisation patriarcale de la société influe non seulement sur sa capacité de choisir mais sur le type de choix qu'elle fait.
Plus particulièrement, la prise en compte de la domination masculine comme structure sociale prédominante renverse la perspective libérale et met en lumière la difficulté pour les femmes de véritablement consentir dans le contexte de la domination masculine. Cette domination donne lieu à une subordination des femmes et elle la déguise en un ordre naturel ou consenti, mais cette subordination ne peut pas véritablement faire l'objet d'un choix ou d'un consentement pour les femmes. Enfin, comme nous allons le voir, l'analyse anthropologique structurale met en évidence le fait qu'est appelé consentement des femmes ce qui n'est en réalité qu'une résignation devant l'impossibilité de toute autre conduite. » (pp. 160-161)

7. « La philosophe Kristie Dotson distingue trois types d'injustices épistémologiques contre lesquelles lutter : l'injustice testimoniale et l'injustice herméneutique, déjà identifiée par Fricker, auxquelles elle ajoute l'injustice de contribution. L'injustice testimoniale est l'injustice qui consiste à donner moins de crédibilité à un locuteur en raison de préjugés que l'on a à son encontre. […] L'injustice herméneutique est l'injustice qui procède du fait que les structures de domination sociales empêchent que l'expérience sociale de certains individus puisse être connue parce qu'elle ne peut pas être reconnue. […] L'injustice de contribution est l'injustice qui a lieu lorsque des personnes privilégiées refusent d'utiliser ou même de chercher à connaître d'autres ressources herméneutiques que celles qui réduisent au silence les personnes opprimées et les empêchent de contribuer à la création du savoir. […]
Cette troisième forme d'injustice est liée au phénomène que le philosophe José Medina qualifie d'"ignorance active", à savoir les efforts que l'on peut faire de manière active pour éviter de prendre connaissance de vérités possiblement déplaisantes à entendre, lorsque l'on est dans une position de domination sociale. » (pp. 190-191)

8. « Le consentement ne remplit pas toutes ses promesses, il ne nous permet pas d'effectuer clairement le départ entre sexe et viol mais il contribue, paradoxalement, à identifier l'enjeu central d'une étude morale et politique de la sexualité et à y répondre. D'une part, on l'a vu, il nous révèle la nécessité d'être attentif aux détails de chaque situation pour en évaluer la légitimité. D'autre part, et c'est ce que nous allons maintenant montrer, il nous permet de dessiner un horizon éthique : si l'enjeu est de lutter contre les injustices de genre tout en préservant l'autonomie sexuelle de toutes et tous, s'il s'agit en somme, pour reprendre la formule de Gloria Steinem, d'"érotiser l'égalité" plutôt que la domination, alors le consentement sexuel, conçu comme conversation érotique, est sans doute l'avenir de l'amour et du sexe. » (p. 223)

9. « On voit clairement ici qu'une telle expérience érotique ne nécessite pas d'amour au sens romantique du terme mais une "réciproque générosité" et une reconnaissance mutuelle qui sont les bases du traitement de l'autre comme une personne.
Cette reconnaissance intersubjective est difficile à acquérir. Les normes de genre génèrent des injustices épistémiques qui font que les hommes sont invités à activement ignorer la subjectivité de leurs partenaires et à les considérer comme des occasions de plaisir sexuel, tandis que les femmes sont dissuadées d'exprimer et même de concevoir leur plaisir et leur désir. Elle est aussi difficile à acquérir tant la sexualité tend à être conçue comme le terrain d'une économie de maximisation de son plaisir avec un minimum de coûts. Mais il est probable qu'elle soit effectivement la condition d'une authentique 'relation' sexuelle dans laquelle nous nous engagerions comme sujets humains égaux. » (p. 237)

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