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[Maternités rebelles | Judith Duportail]
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apo



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Posté: Dim 28 Sep 2025 8:08
MessageSujet du message: [Maternités rebelles | Judith Duportail]
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Comme _L'amour sous algorithme_ (mieux que _Dating fatigue_, trop déséquilibré sur le plan personnel), ce _Maternités rebelles_ est une non-fiction narrative qui mêle à parts égales le témoignage autobiographique de l'accession à la maternité solo de la journaliste, à des réflexions féministes sur les oppressions subies aujourd'hui en France par une femme dans toutes les étapes d'un tel parcours qui pourtant devrait être nettement facilité depuis l'autorisation de la PMA pour « presque toutes ».
Ce récit d'une monoparentalité choisie se déroule chronologiquement eu égard à la part du témoignage, en amont du choix de cette forme de parentalité. Alors que l'autrice a atteint l'âge de 35 ans et mûri un fort désir de maternité, elle se penche d'abord sur deux représentations oppressives et fallacieuses du patriarcat : la « disgrâce du célibat », et « l'horloge biologique ». L'on suit dès lors ce qu'elle définit de « rébellion » à la fois sur le plan théorique, dans la déconstruction de ces deux représentations, et sur le plan pratique, dans sa décision d'abord de congeler ses ovocytes, ensuite de ne plus tarder à les faire féconder ayant recours à un donneur de gamètes. Sur le plan théorique et féministe, sont alors jaugés les avantages et les inconvénients de la parentalité hors couple hétérosexuel (« Ne pas servir »), au moins comme hypothèse initiale sans exclure une future famille recomposée, alors que sur le plan pratique sa décision est prise d'avoir recours à un donneur non-anonyme de son choix, comme cela est possible grâce aux banques de sperme danoises – en non au parcours des Cecos en France.
Néanmoins, à cette étape déjà, l'autrice commence à éprouver la violence gynécologique et en général les signes du patriarcat encore prédominant dans la médecine, notamment sous forme de « la culture de la douleur » attendue des femmes, en particulier des futures parturientes. Les conditions de son propre accouchement s'avèrent extrêmement éprouvantes, à cause d'une grossesse gémellaire ; mais la circonstance que sa maternité ait interdit la présence d'un.e accompagnant.e la première nuit après le travail lui a paru particulièrement traumatisante, et sans doute l'a-t-elle renvoyée à l'injonction conservatrice : « tu as voulu faire tes enfants seule, alors tu te débrouilleras seule ». Alors que les peurs, les douleurs et aussi, il faut bien le reconnaître, les maltraitances se succèdent au fil des étapes de cette accession à la maternité et à un post-partum compliqués, une série de conseils pratiques – y compris les plus factuellement financiers et logistiques – sont prodigués aux futures mères solo (ici dénommées avec l'adjectif féminisé à la latine en « sola »). En effet, et cela m'a tantôt surpris, tantôt amusé en tant que lecteur de sexe masculin, cet ouvrage s'adresse nommément à la deuxième personne à une « chère sœur »...
Cette façon d'envisager l'ouvrage comme un vade-mecum de réflexion et d'informations concrètes et pratiques fondé sur l'expérience n'amoindrit pas la pertinence des références théoriques, actuelles et intéressantes – qui sont de genre neutre et profitent à un lectorat des deux sexes, ni n'exclut l'empathie vis-à-vis du parcours décrit (ce dernière étant elle aussi, je l'espère, de genre neutre!). Le titre m'interroge : l'analyse critique des représentations liées à la maternité traditionnelle et plus généralement au couple hétérosexuel non-déconstruit, et la décision de s'en soustraire constituent-elles en soi un acte de rébellion, surtout dès lors que la pratique est désormais légale (contrairement à la GPA) ? Sachant également que, comme le rappelle clairement l'autrice vers la fin de l'ouvrage (cf. cit. 9), l'évolution des parentalités est transitoire et réversible – entre familles nucléaires, monoparentales, et recomposées – est-il vraiment opportun de souligner l'aspect presque subversif d'une forme d'accession à la maternité plutôt qu'une autre, au lieu au contraire d’œuvrer à sa « normalisation »... ? Le refus de la maternité n'est-il pas, tant qu'à parler de subversion, beaucoup plus « rebelle » ? C'est en tout cas ce qui apparaît dans les suggestions relatives à la création d'un réseau de soutien, contenues en Annexe sous le titre : « Comment tisser son village ? » (cf. cit. 10), qui a vraiment une portée générale et s'oppose aussi, de loin, à la norme individualiste de la famille nucléaire.



Cit. :


1. « Ces agents du 'backlash' veulent reconstruire une masculinité hégémonique en nous soumettant. Ils viennent tous dire aux femmes hétéros : "N'aie pas l'audace de choisir ou de quitter un homme. Ne fais pas usage de ta liberté. Tu es déjà périmée. Ton corps n'a aucune force. Ton pouvoir d'enfantement existe à peine. Passé 30 ans, tu es déjà presque morte."
Aujourd'hui, la dramatisation de la baisse de la fertilité des femmes est l'épouvantail qu'agitent les ennemis des femmes pour attaquer notre liberté. Nous réduire à une simple fonction biologique. La menace de notre péremption est une des formes que prend aujourd'hui le discours fasciste. Le but est de nous affaiblir.
Certains conçoivent et produisent ce discours sciemment pour nous faire peur, comme les Andrew Tate ou Pearl Davis. D'autres, je crois, comme Lily Allen, répètent ces archétypes misogynes intériorisés. » (p. 23)

2. « […] Ce tweet est un exemple parfait du mythe de la disgrâce. Selon ce mythe, si nous faisons des études, si nous nous instruisons nous le paierons de notre bonheur. Si nous ne savons plus faire la cuisine et osons manger des plats réchauffés, personne ne nous likera sur Bumble, personne ne nous aimera.
Le mythe de la disgrâce sert à nous maintenir dociles. À nous décourager de mener des vies autonomes. Présenter le célibat comme le pire état possible fait partie du "continuum des violences de possession". Les violences de possession est un concept développé par Laurène Daycard dans son livre sur les féminicides _Nos absentes_ (2023), qu'elle préfère utiliser plutôt que celui de "violences conjugales". […] Ces violences sont l'expression du refus total que la partenaire soit libre. » (p. 33)

3. « Les films hollywoodiens, les contes de fées et les séries que nous dévorons sur Netflix sont toutes construites sur un même modèle extrêmement efficace et satisfaisant : celui de la progression d'un personnage qui triomphe face à son antagonisme. […] Le point central de l'action est le moment où le personnage se libère d'une croyance, d'une habitude, de sa famille ou de son passé, pour se transformer, grandir et atteindre son objectif. Ce schéma narratif est marqué par l'idéologie de la société qui l'a créé : l'idéologie néolibérale, pour qui l'Histoire a un sens qui nous mène vers le progrès, une logique. Et qui nous présente toutes et tous comme des êtres incomplets devant œuvrer à devenir une meilleure version de nous-mêmes. Nous serions des êtres qui portent en eux les raisons de leurs difficultés et peuvent ainsi s'en libérer.
[…]
Dans les comédies romantiques, cet objectif, c'est l'amour.
[…]
Il est tentant d'appliquer ce modèle de la progression logique à nos propres existences. Nous sommes nombreux.ses à le faire parfois. […] Combien de fois avons-nous entendu ou prononcé : "si enfin telle personne s'aimait elle-même, elle pourrait trouver une relation" ? […] Ou pire, combien de fois avons-nous entendu ou prononcé les analyses psychologisantes du type : "tu vois, j'ai suffisamment travaillé sur moi, du coup quand j'ai rencontré Machin j'ai pu construire une relation saine", nous confortant ainsi dans le sentiment que nous méritons les belles choses que nous vivons. » (pp. 36-37)

4. « Comme mes sœurs de destin, je ne crois plus trop à l'hétéro-conjugalité. Je refuse d'assumer toute la charge mentale ou émotionnelle d'un couple. J'en prends ma part avec joie. Pas plus, pas moins. Je crois que la seule façon de faire couple de façon à peu près équilibrée est de ne pas vivre avec l'homme qu'on aime. De ne pas partager l'espace domestique. Car vivre et faire un enfant avec un homme mènent, je le regrette, à l'asservissement.
J'entends d'ici celles qui vont me répondre que j'exagère. Chez elles, c'est différent, leur mec est un diamant. Vous savez quoi, je vous crois. Je sais que ces couples existent, j'ai eu la chance de les côtoyer. Hélas, ces couples hétérosexuels égalitaires sont davantage une exception que la norme. Politiquement, je trouve extraordinairement ambitieux, voire délirant, de réduire le féminisme à une aspiration à l'exception. De laisser cette responsabilité dans les seules mains des femmes, de leur dire : à toi de faire en sorte de ne pas te faire avoir. Tu dois trouver l'exception, tu dois lui apprendre à partager les tâches, tu dois argumenter chaque jour pour prouver que tu n'es pas la servante, tu dois d'abord lui faire entendre qu'il ne fait pas assez, puis lui explique comment faire plus. Plutôt que réfléchir à des stratégies de vie collective, d'autres façons d'habiter ensemble et de partager les tâches. » (p. 42)

5. « "Congeler ses ovules, solution miracle pour concilier carrière et maternité ?" (2021). Ce choix d'angle d'approche n'est pas neutre. Il dessine en creux les motivations des femmes ayant recours à la cryopréservation et convoque un imaginaire. Celui de la femme ambitieuse, désireuse de "faire carrière", celle qui veut "tout avoir". Or, quand elles sont interrogées sur leurs motivations, nos sœurs évoquent en majorité leur célibat, leur souhait de rencontrer le bon partenaire. La "carrière" n'est pas citée, mais la nécessité d'avoir une stabilité financière, si.
[…]
Rappelons qu'en France, l'âge moyen pour l'obtention du premier CDI est aujourd'hui de 29 ans. "La durée du bizutage social, qui comprend l'enchaînement des stages, les CDD à répétition, les emplois pourris, est de 4 à 5 ans", estime Camille Peugny, sociologue de la jeunesse. On obtient son premier emploi stable pile au moment où la pression sur notre fertilité est au maximum. Il faut accomplir l’œuvre d'une vie en quelques années : trouver un partenaire, un emploi, faire un bébé. […]
L'autrice états-unienne Nel Frizzel a baptisé cette période de la vie "les années panique", et je trouve l'expression extrêmement bien trouvée. Toutes celles qui ont l'audace de concevoir leur bébé en dehors des années panique seront soit taxées d'irresponsabilité et accusées de gâcher leur jeunesse, soit d'être des égoïstes qui feront de jeunes orphelins. Quand nous avons recours à des solutions comme la cryopréservation pour construire nos vies en composant avec cette double contrainte inconciliable, nous voilà carriéristes. » (pp. 70-71)

6. « Plusieurs choses me dérangent dans l'organisation du circuit officiel [de PMA avec donneur de gamètes]. Je vais être cash : je veux choisir [au lieu que ce soit les médecins]. Non, ce n'est pas que je veux choisir un canon de beauté sur catalogue. Mais quand il s'agit de savoir quel sperme entre dans mon utérus, je veux être celle qui décide. Qu'on m'indique quels sont les donneurs les plus adaptés à ma situation, je le comprends tout à fait. Qu'on en préserve en priorité pour d'autres femmes pour des raisons de compatibilité génétique, parfait. Mais que ce soit moi qui choisisse in fine. Ou, du moins, qui collabore à ce choix. Un don de sperme, ce n'est pas comme un don de sang. Ce n'est pas non plus un rapport sexuel, je le sais bien. C'est entre les deux. Que ce soit le médecin qui choisisse et qui choisisse seul est très éloquent : nos corps sont encore sous contrôle. » (p. 89)

7. « Je pèse mes mots ma sœur, mais de m'avoir refusé un.e accompagnant.e cette nuit-là [suivant l'accouchement] relève de la torture. Ce ne sont pas que les mères solas qui se retrouvent dans cette situation. Dans certaines maternités, le coparent n'a pas non plus le droit de rester la nuit. Un.e accompagnant.e, que ce soit le papa, la co-maman, un ami, une sœur, peu importe, devrait être non pas autorisé.e, mais obligatoire durant cette première nuit. Ou les enfants confiés en crèche de nuit pour huit heures minimum d'affilée. C'est une question de sécurité. Et, non, pour que le lien mère-enfant se crée, il n'y a pas besoin de ne jamais se quitter. Les liens sont bien plus puissants que cela. […] D'accord, l'hôpital n'a pas de moyens, mais ce n'est pas ça qui coûte cher, arrêtons de se moquer de nous. Cela coûtera bien moins cher à la société que de financer les arrêts de travail et les dépressions du post-partum qu'occasionnent toutes ces violences. » (p. 115)

8. « Ces quelques jours d'ultra-lucidité sont bouleversants. Dieu merci, cette clairvoyance se dissipe avec la force du quotidien. Il est impossible de vivre plus de quelques jours dans cet état d'acuité surhumaine.
Ce n'est donc pas la chute des hormones qui crée l'état de stupeur, d'exaltation, de joie et de panique dans lequel nous nous trouvons après avoir donné naissance. C'est la réalité des faits. C'est le fait qu'hier il n'y avait personne et qu'aujourd'hui il y a quelqu'un. C'est qu'hier tu n'existais pas mon bébé et pourtant je ne peux déjà plus imaginer le monde sans toi. C'est d'avoir un pied dans le néant et l'autre dans l'infini des possibles.
C'est le fait de traverser cette expérience de la transcendance qui nous bouleverse, et pas une chute d'hormones, qui n'arrive que quelques jours plus tard. Les variations d'hormones est le nom que le XXIe siècle donne à l'hystérie, pour pouvoir continuer à questionner peinard l'existence de notre intelligence. » (p. 126)

9. « En réalité, nous sommes à la fois toutes ces femmes : celle qui est en "congé parental" est celle qui travaillera en entreprise ou ailleurs demain, parmi les solas, il y a de futures familles recomposées et parmi les familles nucléaires de futures mères solas.
Et surtout, quel que soit notre statut, nous subissons toutes les mêmes oppressions. Ce n'est pas un homme qui nous sauvera de cette oppression. C'est nous toutes, comme nos sœurs l'ont fait avant nous. Seules l'action collective et la politique sauvent. L'amour romantique ne sauve pas. » (p. 146)

10. « Au cours de ma grossesse, j'ai eu des conversations avec mes ami.es plus ou moins proches en 'one-to-one', pour savoir si je pouvais compter sur ell.eux, sur ce qu'iels se sentaient de faire pour me soutenir, etc. J'ai posé des questions concrètes et précises : "est-ce que je pourrais venir chez toi à la fin de la grossesse ?", "Te sens-tu de faire des gardes de nuit pour que je souffle ?". Des personnes dont je me sentais moins proche se sont spontanément rapprochées de moi, d'autres dont je me sentais très proche ont pris un peu de distance. Ça pique un peu, mais c'est ainsi. Mieux vaut le savoir pour pouvoir faire au mieux avec les ressources dont nous disposons. Les personnes qui ont répondu présentes occupent à jamais une place spéciale dans mon cœur et cela a créé de très beaux liens entre nous. » (pp. 155-156)

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