Voici enfin la question dont j'attendais la réponse depuis presque toujours et qu'il est arrivé qu'un élève me pose. Le nom de Paul Veyne revenait si souvent dans mes bibliographies et dans les murs de mon université aixoise que je me figurais qu'il était professeur de langues anciennes... eh non ! historien.
La première chose à définir était la différence de vue sur le mythe que les Anciens avaient et leur rapport à la fiction.
La réponse aurait dû arriver très vite, mais l'analyse est plus complexe que je le croyais et se décline sous un certain nombre d'angles... dont j'avoue, je n'ai pas toujours vu la différence, tant ce qui était à mes yeux la même conclusion apparaissait : il y a une audience/lecture de personnes instruites, philosophes, et une audience naïve, du mythe. La question du temps des contes et du temps de la réalité se retrouve dans tous les chapitres. Celle de l'opposition entre la culture et la foi aussi.
J'ai fini par lire avec un agacement croissant et l'impression que l'auteur me payait de mots-concepts fumeux, multipliait les chemins de traverse, voire même des thèses opaques et des signes "=" tout à fait contestables, si bien que je suis tentée d'écarter les nombreux feuillets de notes que j'ai noircis en lisant et d'arrêter là cette note de lecture...
Je pose, en vrac, sans m'embarrasser d'ordre plus que l'auteur : le mythologue présume que la tradition était vraie, seuls les détails trop fantastiques paraissaient suspects, ainsi que les divergences de sources qu'il ne se soucie pas d'expliciter.
Sur le temps du conte : le mythe se passe "dans un passé sans âge" qui ne pouvait pas évoluer ni intervenir physiquement dans le présent des Anciens.
Sur le rôle de la mythologie dans certaines conventions, la "langue de bois" : l'aristocratie qui descend officiellement de certains dieux n'a pas intérêt à combattre le mythe qui peut lui assurer une sorte d'aura mais répugne à se prévaloir de cet effet de naïveté : "[A] la fin des
Guêpes d'Aristophane, un fils qui tâche d'inculquer un peu de distinction à son père dont les idées sont populacières, lui apprend qu'à table, il ne convient pas de raconter des mythes : il faut y parler de choses humaines."
De même, les Anciens étaient capables de faire la différence entre un empereur décrété dieu par apothéose et un véritable dieu auquel, seul, ils adressaient leurs ex-votos...
Qu'admettait-on ? L'historicité des noms était habituellement admise (la théorie d'Evhémère évidemment) et, même s'il existait une lecture naïve des vies des dieux, les penseurs récusaient, le plus souvent, la part du merveilleux, mais pas au nom de la raison. Ils confrontent les versions contradictoires mais se montrent, c'est notamment le cas de Pausanias, superstitieux. Au fond, ce qu'il fait, c'est un recueil de récits patrimoniaux plus qu'un recensement religieux. Le récit mythique ne devient mythologie qu'à l'époque hellénistique et donc littérature reconnue, passion de lettré avec deux lectorats : "les crédules, tels que Diodore, mais aussi Evhémère ; de l'autre, les doctes". Les "crédules" tâchent de rationaliser les dieux en prétendant que les mythes s’inspirent simplement de la tradition de grands rois. Evhémère prétend même avoir vu leurs tombeaux sur des îles.
Là où je regimbe, c'est à propos de la thèse que Paul Veyne pose, que les historiens anciens auraient inventé tous les noms propres des dynasties-fleuves, puisque personne ne leur demandait leurs sources. Bon, soit, mais pourquoi compare-t-il ces mythologues imaginatifs et mythomanes, peut-être, à Faurisson pour soutenir que ce dernier n'était pas un faussaire mais créait, lui aussi, "sa vérité" ?!...
Comme je suis certaine que Veyne sait le grec, je suis étonnée de n'avoir pas vu dès le début d'étymologie : μυθος veut tout de même aussi dire "mensonge" et cette polysémie était consciente chez les Grecs anciens. Donc finasser sur une question de l'évolution de l'idée de vérité, de chapitre en chapitre, me paraît vain ; d'ailleurs, ça ne décolle pas.
Que dire d'aimable ? Ce livre est une mine d'anecdotes qui m'étaient complètement inconnues et qui sont tout à fait ravissantes, étonnantes et pittoresques : Apollon vainqueur d'Hermès et d'Arès aux Jeux Olympiques... Mais qui me l'avait dit avant ?! La collusion entre le fait mythique et la date de 776 qui était la date la plus proche que la mémoire collective attribuait aux premiers jeux a obligé les Grecs à penser que l'origine des Jeux olympiques était probablement encore plus anciennes, puisque les Dieux y avaient participé. Ainsi, la présence de dieux parmi les hommes ne peut-être jamais être le passé proche, ni le présent, ni même une potentialité...
Citations :
* La pluralité des vérités, choquante pour la logique, est la conséquence normale de la pluralité des forces.
* Ainsi au moment où il s'appuyait sur la croyance populaire aux Centaures, Gaber, faute de cynisme, devait être pris dans un vertige de verbiage noble et indulgent et ne plus trop savoir ce qu'il en pensait. Ainsi naissent ces modalités de croyances hésitantes, cette capacité à croire en même temps à des vérités incompatibles, qui caractérisent les périodes de confusionnisme intellectuel : la balkanisation du champ symbolique se reflète dans chaque cerveau.
* Le jour où Jacques de Voragine, connu surtout comme auteur de la Légende dorée
, découvrit dans son imagination les origines troyennes de la ville de Gênes, le jour où un prédécesseur de Frédégaire trouva dans la sienne celles de la monarchie franque, ils ne firent rien que de raisonnable : ils formèrent des jugements synthétiques sur l'a-priori d'un programme de leur temps.
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