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[Accueillir | Marie José Mondzain]
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Posté: Jeu 26 Déc 2024 17:20
MessageSujet du message: [Accueillir | Marie José Mondzain]
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Incipit : « Naître biologiquement ne suffit pas. Encore faut-il être adopté. À cet égard, tout nourrisson est un enfant adopté. C'est une tout autre façon de penser nos liens et d'orienter notre regard. La filiation biologique, et donc l'arrivée d'un nouveau-né dans une famille, n'est pas le modèle de l'accueil, mais, de façon contre-intuitive, l'un de ses cas particuliers. Il ne faut plus penser l'hospitalité depuis le lien traditionnel et normatif de la transmission et de la légitimation biologique mais la fonder sur l'attention radicale à donner à toute arrivée, à tout arrivant. Il s'agit d'un art de l'hospitalité basé non sur la filiation mais sur la 'philia', c'est-à-dire sur un régime qui engage politiquement tous nos affects, la totalité de notre expérience sensible face à toute arrivée et à toute rencontre. C'est le régime de la philiation, celui qui fait échec à toutes les formes de l'exclusion inspirées par la phobie et par la haine. »

Cet essai comporte donc deux thématiques qui me tiennent particulièrement à cœur : la parentalité conçue comme un acte de volonté, et l'hospitalité due à l'Autre, notamment au migrant. Et la thèse : que les deux sont deux modalités du même lien, l'accueil, fondé sur le sentiment de la 'philia'. Le sont-elles dans les faits ? Ou bien devraient-elles l'être ? S'il s'agit d'une préconisation, est-elle d'ordre éthique ou pragmatique ? Et encore, devant l'évidence du caractère inopérant des « lois de l'hospitalité », « bafouées par tous les replis haineux et phobiques qui nous privent des joies et des richesses procurées par l'accueil », ainsi que devant l'évidence conséquente que le défaut d'adoption (active et passive) nous fait devenir une masse d'orphelins plutôt qu'un peuple, quel est le prix que nous payons de ne pas adopter, de refuser un tel accueil : le malaise dans la culture – tel qu'il avait été reconnu par Freud ? ou pire, la généralisation des psychopathologies, causes sociales et familiales confondues ?
Voilà une problématique où se rejoignent les sciences humaines et les sciences sociales, affrontée ici par une philosophe, avec les ressorts habituels de sa discipline, tout particulièrement l'analyse sémiologique, littéraire – et ici cinématographique, l'autrice étant une spécialiste de l'image – depuis les fondements antiques de notre pensée occidentale. Entre concepts adjacents et idées complémentaires relatives à ces deux thèmes qui sont habituellement tout à fait disjoints : la filiation-adoption et l'arrivée-hospitalité-exil, des liens subtils, des analogies et des transversalités inattendues sont tissés dans une succession de chapitres qui ne bâtissent pas la charpente d'une démonstration mais s'appuient pour la plupart chacun sur des œuvres, très connues pour certaines, de moi quasi inconnues pour d'autres – ma culture cinématographique étant comparativement très boiteuse. La psychanalyse, naturellement, n'est pas en reste, mais j'eusse été ravi de la voir davantage encore mise à contribution. Par conséquent, c'est sans doute à cause de mes propres lacunes que j'ai parfois eu le sentiment de m'égarer dans des propos dont je n'ai pas toujours saisi la pertinence par rapport aux sujets traités, alors que je rongeais le frein par ailleurs de ne pas voir approfondis davantage des filons de réflexion pourtant bien connus en sociologie, en droit (de la famille et des étrangers), en science politique, en anthropologie, particulièrement concernant la réception des migrants et en général sur les critiques contre le néolibéralisme et le colonialisme qui font apparition de façon aussi constante que fugace, presque en pointillé dans l'ensemble du texte. En particulier, il eût été absolument recommandable, me semble-t-il, de se pencher sur la littérature migrante, où les méthodes et les résultats de l'analyse littéraire épousent parfaitement ceux qui sont propres aux sciences sociales, avec l'avantage de surcroît de laisser la parole aux principaux intéressés eux-mêmes. C'est portant dans ce sens que je lis les citations reproduites par l'autrice en exergue et surtout celles d'Edmond Jabès qui constitue l'excipit, et que je n'ai pas pu m'empêcher de recopier à mon tour, ne serait-ce que pour l'amour profond que je porte à ce poète.



Table [avec les principales références d'ouvrages et de films et appel de mes cit.]

Que l'on vienne d'un ventre ou d'un pays... [cit. 1, 2, 3]

Théâtre de l'inépuisable provenance [Tadeusz Kantor, _Le Théâtre de la mort_]

Arriver étranger chez soi [Homère, _Odyssée_]

Du verbe arriver [Dominique Quessada, _L'Inséparé. Essai sur le monde sans Autre_. Cit. 4]

L'espace des alliances et le mutale [Jean-Toussaint Desanti, _Philosophie : un rêve de flambeur_]

Une filiation maudite [Sophocle, notamment _Antigone_, film de Roberto Rossellini : _Europe 51_ et l'analyse qu'en fait Jacques Rancière in : _Courts voyages au pays du peuple_]

Volcanique inhospitalité ? [suite sur le film]

Bartleby ? Mè phunai ? [Herman Melville, _Bartleby_, et les analyses qu'en font Gisèle Berkman (2011) et Michèle Causse (1976). Cit. 5]

Bartleby, naître ou ne pas naître ? [suite sur la nouvelle]

L'annonciation et la philoxénie [_Genèse_ ch. 18 et 22. Cit. 6]

De l'amitié [Friedrich Nietzsche, _Humain, trop humain_, Aristote, _Éthique à Eudème_, Jacques Derrida, _Politiques de l'amitié_, idem, _Hospitalité. Vol. II : Séminaire 1996-1997_]

Contre la loi du sang [Jacques Derrida, _Hospitalité. Vol. I : Séminaire 1995-1996_]

De l'adoption [Pierre Lévy-Soussan, _Destins de l'adoption_]

Adoptions grecques [Agnès Fine (dir.), _Adoptions. Ethnologie des parentés choisies_]

Les conditions du changement

Attente

Construire la xenostasis [Fernand Deligny _ L'Arachnéen et autres textes_]

La maïeutique : l'art d'accoucher

Therapôn

De quelques orphelins [film de Charles Laughton, _La Nuit du chasseur_]

Un autre orphelin : _Citizen Kane_ (1941) [Analyse croisée du film éponyme avec celui de Fritz Lang, _Les Contrebandiers de Moonfleet_]

Étrange lépreux [film (et essai cinématographique) de Jean-Daniel Pollet, _L'Ordre_]

L'asile et l'exil [cit. 7]

L'île et l'exil [William Golding, _Sa majesté des mouches_, Platon, _La République_]

La sacralité de l'asile

Malaise dans la culture ou dans la civilisation ? [Sigmund Freud, _Das Unbehagen in der Kultur_, Jacques Rancière, _La Haine de la démocratie_]

L'agressivité de la "victime émouvante" [Jacques Lacan, « L'agressivité en psychanalyse » conférence (1948), idem., _Des Noms-du-Père_. Cit. 8]

Suite du malaise [Michel Foucault, _L'Histoire de la folie_. Cit. 9]

De Gep[p]etto à GPT, les troubles de la gémellité [Günther Anders, _L'Obsolescence de l'Homme. Sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle_]

Désajointement [Paul B. Preciado, _Dysphoria Mundi_]

S'étranger [Jacques Rancière, _Le partage du sensible_, Francis Ponge, « L'antichambre » in _Proêmes_, film de Polanski, _Rosemary's baby_]

Excipit : cit. tirées d'Edmond Jabès, _Le livre de l'hospitalité_ [cit. 10]



Cit. :


1. « L'humanité n'est pas un genre, ou bien le genre humain devrait être le nom d'une vertu. C'est pourquoi je décidai de ne plus me référer à la filiation pour envisager la création et la transmission des liens entre les humains mais de l'aborder sous le signe de la philiation, à partir de la 'philia' qui dit le lien créé par un affect dont la filiation n'est plus qu'un cas particulier, de plus en plus soumis et modifié par des avancées scientifiques, des procédures juridiques et des rêves polymorphes qui métamorphosent les "données immédiates" des sensibilités apeurées. » (p. 18)

2. « Le régime substantialisé de l'origine a eu et continue d'avoir les effets les plus violents et les plus pervers sur la conception des liens sociaux et de toutes les figures que l'on croit morales, affectives et politiques de la "fraternité" sus le signe de la filiation dite naturelle. "On est chez nous", "il ou elle est des nôtres" sont les formules lapidaires et incantatoires qui installent inséparablement le droit de vivre et celui de tuer. Ces formules ont été et sont encore à la base de toutes les formes d'exclusion et d'exploitation qui ont été alimentées par les théories racistes et qui ont soutenu et nourri les opérations de colonialisme. L'impérialisme néocolonial continue de dénier à ceux qu'il a traités en esclaves puis transformés en marchandise toute appartenance à une seule et même humanité. Le colon est partout chez lui et c'est l'autochtone exproprié qui doit payer de sa soumission le droit de survivre chez son envahisseur, et cela au prix d'une définition de l'humanité qui prive de nom d'humain celui qu'il exproprie, qu'il pille et qu'il soumet. » (pp. 20-21)

3. « Le terme même de reproduction ne dit que trop bien un imaginaire mimétique qui laisse peu ou pas de chance à la procréation d'être une véritable création. Ne faut-il pas accorder à tout nouveau venu le droit absolu d'être nouveau ? On m'objectera aussitôt que cette nouveauté ne saurait effacer l'héritage conscient et inconscient des générations antérieures. Je propose de penser le poids de ces héritages à la lumière de la liberté accordée à tout arrivant. L'hospitalité doit offrir à tout nouveau venu le temps et l'espace nécessaires pour faire de cette antériorité une zone de fermentation imaginaire et de fécondité propre à la création d'un monde à faire advenir. S'il n'en est pas ainsi, tout point de départ est vécu comme un point final. » (p. 23)

4. « Le verbe arriver signifie aussi bien le mouvement qui amène et rapproche quelque présence hier encore lointaine et absente que le surgissement d'un événement qui atteint et déplace le site d'une présence jusque-là inaperçue ou passive. Que m'arrive-t-il quand tu arrives ? Que nous arrive-t-il, que doit-il nécessairement nous arriver quand tout autre arrive, qu'il s'agisse du nouveau-né, enfant de soi ou enfant d'un autre, ou encore de tout nouveau venu, d'où qu'il vienne et quelles que soient les modalités de son arrivée et les registres de son apparition ?
Ce qui arrive et qui est à proprement parler déroutant peut être attendu ou inattendu, mais ce qui nous arrive est toujours inattendu et même se doit de l'être. Le nouveau venu a choisi ou pas sa route, son possible exil le met en déroute et nous oblige à notre tour à faire un saut hors des chemins familiers. Si quelque chose nous arrive, alors ce qui arrive est marqué du sceau de la nouveauté et se présente nécessairement comme événement qui se dérobe au jeu de nos attentes pour faire apparaître ce que nous ignorions de nos propres attentes. » (pp. 49-50)

5. « [Dans _Bartleby_ de Melville] C'est lui, l'avoué, donc son employeur, qui fait le récit de sa rencontre et de ce qu'on peut appeler sa liaison avec cet être qui incarne la pure déliaison. L'impossibilité de l'hospitalité devient soudain, sur la scène de la prison où Bartleby est mort, l'accueil paradoxal de son visiteur endeuillé dans la communauté humaine : "Ah Bartleby ! Ah humanité !" Car il s'agit bien de son lien avec un être dont il ne peut se détacher et auquel il est impossible de s'attacher. Toute la puissance quasi magique de Bartleby tient en quelques mots qui produisent un abîme infranchissable que l'avoué ne renonce jamais à franchir mais sans jamais y parvenir. 'I would prefer not to'. Bartleby dit son refus, sa résistance à tout verbe. » (p. 97)

6. « Passer de la filiation à la philiation n'a ici [dans le récit biblique d'Abraham et de son fils Itzhak] rien à voir avec une réhabilitation ou légitimation par simple déplacement de quelque patriarcat. Bien au contraire la philiation est en rupture avec toute domination masculine qui seule fonderait le droit de vivre, de porter un nom et d'avoir sa place dans un tissu social où les places sont distribuées en termes de pouvoir hiérarchisé et d'identité sexuelle. Dans le récit biblique commenté plus haut, c'est la voix transcendante qui fonde le lien et non le geste du père biologique. Autrement dit, ce qui fait loi et donne accès à la communauté ne doit rien au géniteur mais exige au contraire de lui un geste d'absolue soumission à plus haut ou plus grand que lui, c'est-à-dire à une référence symbolique. Pour pouvoir devenir père à son tour, Itzhac le fils a besoin d'un geste de rupture "contre nature", à savoir qu'un père devrait accepter de tuer son fils et dans le même mouvement que ce fils soit sauvé par une autre instance que la volonté paternelle. Abraham se soumet à une loi plus haute que celle des pères sur les fils, des hommes sur les femmes. » (p. 113)

7. « L'asile est le mot qui désigne ce qui se fait abri pour l'exilé et pour celui qui est poursuivi, qu'il soit innocent ou coupable... Mais l'asile est devenu le terme qui désigne la réclusion de celui qui n'est plus admis dans la communauté sociale parce qu'il est trop vieux, trop malade ou trop fou. Quel violent renversement sémantique quand on sait que le mot vient du grec : a privatif et 'sulan', s'emparer de quelque chose, 'sulon' étant le butin. Alors, l'asile est ce qui met le sujet à l'abri de toute atteinte et de toute prédation. Il ne peut plus être le butin de personne. Voilà ce qu'est l'asile, ce lieu qui empêchera tout dépossédé ou poursuivi d'être persécuté et de devenir la possession d'un autre. L'asile accueille, et celui qui accueille est l'hôte de celle ou de celui qui est à son tour l'hôte de son hôte. Ainsi en va-t-il en français comme en latin. […] L'égalité se fait entendre dans la double désignation. » (pp. 179-180)

8. « L'adoption ici [entre le patient et le psychanalyste] a la valeur d'un contrat qui relie deux parties pour une durée variable et dont la non-gratuité assure la tenue sans ambiguïté. La relation analytique est bien une figure moderne de l'hospitalité qui a remis en question la description et l'exclusion de la folie dans le champ social. Ce dont témoignent tous les combats violents qui opposent la psychanalyse institutionnelle aux appareils d’État qui, dans la ligne néolibérale, cherchent à faire de la souffrance psychique l'objet d'une science "exacte" aux paramètres quantifiables dans une industrie rentable du capital santé ! Ce que Lacan veut faire entendre, c'est que le métier d'analyste est confronté de plein fouet à ce que j'appelle la crise de l'hospitalité. Ce que Freud nomme le malaise dans la culture est bien le dispositif qu'une civilisation oppose à la demande de rencontre et d'écoute dans le déchiffrement des impasses du désir. L'attente est refoulée par le système général lui-même et la souffrance ne rencontre que les structures de l'exclusion. Le terme même de "reconduite aux frontières", qui semble ne concerner que les réfugiés et les migrants, est en vérité le geste généralisé qui accompagne toutes les mises au ban de celles et ceux qui pourtant sont indispensables dans la construction d'un monde commun. » (pp. 210-211)

9. « Quand la civilisation veut nous débarrasser de toute angoisse pour ne reconnaître que l'économie policière de la sécurité et de la peur, il n'y a plus de place pour la folie dans la culture et, par voie de conséquence, plus de place pour la culture elle-même. D'où le malaise... Le malaise a une histoire inséparable de celle de la santé mentale considérée dans la tension qui existe et s'aggrave entre civilisation et culture. Le vertige fasciné, entretenu au sujet de l'Intelligence artificielle (IA), ne peut accorder la moindre place à ce qu'on appelle la folie ou à ce que je désigne sous le nom de zone d'indétermination. Le mot Intelligence occupe tout le champ de fascination et d'inquiétude, sans qu'on interroge le rapport entre l'art, l'artifice et l'angoisse. Quand l'intelligence n'est pas artificielle, est-elle pour autant naturelle, étant donné qu'elle désigne essentiellement les opérations cognitives et techniques, y compris dans l'infinité des processus combinatoires ? Est-ce que l'art est une production de l'intelligence combinatoire ou le nom que nous donnons à ce qui nous procure les joies de la liberté et traite de l'angoisse dans une relation intersubjective ? » (pp. 213-214)

10. Excipit : [cit. tirées d'Edmond Jabès, _Le Livre de l'hospitalité_]

« Je ne mérite pas l'hospitalité que je te dois.
"Accepte-la. Je saurai que tu m'as pardonné" disait un sage. »

« Ne pas oublier que tout "intérieur", bien qu'incernable, a un "extérieur" par lequel l'univers peut pénétrer, et avec lui, le plus humble grain à moudre ou à jeter aux oiseaux. »

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